Un élève sur deux connaît des difficultés en calcul mental, un quart peine à reconnaître les lettres… Le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, a révélé lundi les premiers résultats des évaluations nationales en CP et CE1, qui se sont déroulées durant la semaine du 17 septembre. Ces résultats sont loin d’être satisfaisants, a reconnu le ministre. Mais il ne s’inquiète pas outre mesure. Conçues pour identifier les faiblesses des élèves, ces évaluations devront, justement, servir selon lui d’indicateur aux enseignants pour les aider à corriger le tir. "Ce qui est important, c'est qu'on réussisse à faire ça à l'âge de 6 ans, de 7 ans, plutôt que ce qu'on a avec les évaluations internationales", qui se basent plutôt sur les résultats des élèves vers 15 ans, a défendu Jean-Michel Blanquer lundi au micro d’Europe 1.
Pour leurs détracteurs (dont certains syndicats d’enseignants) ces évaluations arrivent bien trop tôt, et ne laisseraient pas à tous les enfants le temps d’apprendre les fondamentaux. Elles auraient alors pour effet de stresser les enfants, et de stigmatiser ceux qui ne les réussissent pas. "Si on concentre notre énergie en CP, on résout beaucoup de problèmes à la racine", leur rétorque Jean-Michel Blanquer. "Certains savoirs, s’ils ne sont pas bien ancrés dès le départ, ne seront pas bien maîtrisés dans le futur", martelait-il, déjà, le 13 septembre dernier dans L’Express. Mais qu’en est-il vraiment ? Les classes de CP et de CE1 constituent-elles déjà des années charnières ? Nous avons posé la question à Michèle Mazeau, médecin spécialiste des troubles cognitifs chez l’enfant et co-auteure de Bien apprendre à l’école et Dans le cerveau de mon enfant.
CP, CE1 : ces années sont-elles déterminantes pour l’apprentissage des fondamentaux à l’école ?
Je pense que Jean-Michel Blanquer a raison de vouloir mettre l’accent sur les âges de 5/7 ans. Il y a des enfants plus ou moins précoces ou plus ou moins tardifs, mais les classes de Grande section, de CP et de CE1 sont très importantes. Plus le cerveau est jeune, plus l’organisation cérébrale est souple, plastique. Mais surtout, cet âge est celui où le cerveau peut commencer à apprendre des choses totalement nouvelles. Jusqu’à la maternelle, l’enfant développe des compétences déjà prévues par le cerveau humain : marcher, parler, attraper un ballon au vol…
" Rien n’est évidemment perdu si le socle de base n’est pas acquis à 7 ans "
Mais à partir de la Grande section, on doit apprendre des choses pour lesquelles le cerveau ne dispose pas de prédispositions. Il doit apprendre à développer des mécanismes cérébraux totalement nouveaux. C’est pourquoi tous les pays du monde apprennent l’écriture, la lecture ou le calcul à ces âges-là. Cela correspond à une évolution cérébrale : on peut commencer à construire de nouveaux réseaux de neurones dès cet âge-là.
Si les fondamentaux ne sont pas acquis en CE1, l’enfant ne pourra-t-il pas rattraper son retard, comme le dit Jean-Michel Blanquer ?
Tout peut toujours évoluer, et rien n’est évidemment perdu si le socle de base n’est pas acquis à 7 ans. Le cerveau garde une certaine souplesse au moins jusqu’à 9 ans. Et il y a toujours des moyens pour combler les lacunes. Mais il y a toute une pédagogie à mettre en place pour apprendre les fondamentaux (lire, écrire, compter) dans les règles. Cela prend du temps, plusieurs années même. Donc plus on commence tôt, mieux c’est. Si le cerveau peut le faire dès 5 ans, il n’y a aucune raison de le laisser en friche.
Il y a aussi une question familiale ou sociale. Certaines familles vont pouvoir prendre des mesures pour rattraper le retard de leurs enfants, pour les accompagner davantage. Mais le risque est de faire apparaître des manques qui vont devenir gênant par la suite. Souvent, c’est en 6e que cela va se manifester. Au collège, les enseignants sont spécialisés dans leur discipline et se montrent souvent plus exigeants. Ils vont donc davantage repérer les lacunes dans leur discipline. Et il sera, à cet âge-là, plus difficile de les combler.
Quid des premières années de maternelle ? En CP, les enfants ne sont déjà pas tous égaux, ils n’ont pas le même vocabulaire…
Il est vrai qu’en maternelle, ou même avant, le cerveau va apprendre le langage, la syntaxe, la capacité à repérer les sons dans les mots. Un enfant qui connaît 200 mots ne va pas apprendre à lire ou à écrire aussi facilement qu’un enfant qui en connaît 2.000. En cela, les évaluations dès le CP peuvent aider à se rendre compte de ce qui est acquis et n’est pas acquis. À condition de s’en servir pour aider les enfants à s’améliorer et de ne pas en faire une fin en soi.