Fausse victime du Bataclan : "On est dans une recherche malsaine de célébrité"

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Anaïs Huet , modifié à
Pendant plusieurs mois, Cédric Rey a affirmé publiquement être un rescapé de l'attentat du Bataclan. Dans les médias, il livrait avec force détails son terrible témoignage. Or tout était faux.
ON DÉCRYPTE

Que s'est-il passé dans la tête de cet ambulancier de 29 ans, pour qu'au soir du 13 novembre 2015, en apprenant les attentats qui frappaient Paris, il décide de se faire passer pour l'un des rescapés du Bataclan, alors même qu'il se trouvait à son domicile dans les Yvelines ? Cédric Rey a poussé très loin sa construction mensongère, allant jusqu'à livrer à plusieurs reprises son témoignage glaçant, mais imaginaire, dans les médias. L'homme, qui a reconnu les faits, était jugé vendredi devant le tribunal de grande instance de Versailles, pour tentative d'escroquerie au préjudice du Fonds de Garantie des victimes du terrorisme. Il a été condamné à une peine de deux ans de prison, dont six mois ferme.

À chaque attentat de masse, ou presque, des usurpateurs se font passer pour des victimes. Comment expliquer un tel phénomène ? Et comment entre-t-ils dans ce sordide engrenage ? Eléments de réponse avec le professeur Bernard Granger, responsable de l'unité psychiatrique de l'hôpital Tarnier à Paris (AP-HP).

Quels sont les ressorts psychologiques qui poussent à aller aussi loin dans le mensonge ?

Dans ce cas précis, on peut davantage parler de mythomanie que de mensonge. Ici, le mensonge est construit, élaboré, et dure sur le long terme. Souvent, le mythomane cherche à compenser une souffrance personnelle, un sentiment d'infériorité. Il cherche à se valoriser.

Une fois qu'on a mis le doigt dans l'engrenage, si on n'avoue pas rapidement, on s'enferre dans le mensonge. Il faut en faire toujours plus pour crédibiliser son histoire. Là, le prévenu a participé à des "apéro-thérapies" avec d'autres victimes, et est allé jusqu'à se faire tatouer une Marianne en pleurs avec la date du 13 novembre 2015 sur le bras. On est dans une fuite en avant difficilement contrôlable.

Par ailleurs, certains mythomanes finissent par s'auto-persuader, ils adhèrent pleinement ou partiellement à ce qu'ils racontent. Lorsqu'un mythomane est découvert, la fin peut être tragique, car c'est le monde qu'il s'est construit qui s'effondre, et il est très difficile d'assumer les conséquences de ses actes. S'en suit un sentiment de honte très fort.

 

Pourquoi les attentats de masse sont-ils "choisis" par les usurpateurs ?

Nous sommes désormais dans une société où le statut de victime est valorisé. La compassion s'est développée, et c'est tant mieux. Mais une personne qui a une tendance à la mythomanie, et qui ressent un besoin très fort d'attention, peut plus spontanément "opter" pour ce type d'événements tragiques.

Dans le cas de cet ambulancier, on constate une polarisation du mensonge par la médiatisation. On peut penser qu'il était dans une recherche malsaine de célébrité. Là encore, c'est un phénomène d'époque. On voit de plus en plus souvent à la télévision des anonymes venir témoigner de situations qu'ils n'ont pas vécues. Ils veulent paraître médiatiquement meilleurs qu'ils ne sont. 

Mais ici, on profite - de manière assez odieuse - de la détresse de tout un peuple, de victimes et de familles de victimes durement touchées.

 

Comment se fait le déclic dans la tête du menteur ?  

L'un des aspects étonnants de son histoire, c'est l'immédiateté de sa réaction. Après avoir appris la nouvelle à la télévision, il est monté dans sa voiture et a foncé sur les lieux du drame. Il ne s'agit pas là d'une élaboration longue et compliquée. Il a été dans une démarche très active, impulsive, pour être au cœur de l'événement. Il s'est tout de suite identifié aux victimes. Que s'est-il passé dans son esprit à ce moment-là ? C'est très mystérieux.

Au vu des éléments que l'on connaît à l'heure actuelle, il semble que la tentative d'escroquerie n'est pas le moteur essentiel et primitif de sa démarche mensongère. 

 

Cette mythomanie peut-elle être traitée ?

Oui et non. On voit assez peu de menteurs pathologiques en consultation. Paradoxalement, ils ont beaucoup de mal à accorder leur confiance. Cela s'ajoute parfois à un sentiment de honte, lié au fait de révéler leurs mensonges. Pour les rares mythomanes qui cherchent secours, la prise en charge psychologique est très complexe. C'est presque antinomique : devoir dévoiler son moi profond à un professionnel quand on est habitué à mentir. Le spécialiste a souvent bien du mal à distinguer le vrai du faux dans la confidence. Trop souvent, la démarche n'aboutit pas.

 

Plusieurs cas de fausses victimes du 13-Novembre déjà recensés

Cette tentative d'escroquerie aux attentats n'est pas la première. En janvier dernier, deux conjoints qui affirmaient avoir été blessés par l'attaque du Stade de France en 2015 ont été condamnés à un an de prison, dont six mois ferme. En décembre 2016, un autre couple de fausses victimes a été condamné à trois et six ans de prison ferme par le tribunal correctionnel de Grasse pour avoir indiqué être présents le soir du 13 novembre 2015 près du Stade de France. Les deux escrocs avaient été démasqués après avoir déposé une autre demande d'indemnisation pour l'attentat de Nice, le 14 juillet 2016.

 

En novembre 2016, une jeune femme de 24 ans, Laura O. a été condamnée à un an de prison ferme pour avoir présenté aux policiers des faux certificats médicaux attestant qu'elle était au bar parisien Le Carillon, l'une des cibles des attentats du 13 novembre. En juillet 2016, une autre femme a été condamnée par le tribunal de Bobigny à six mois d'emprisonnement avec sursis pour avoir prétendu être au Bataclan. Elle avait réclamé 10.000 euros au Fonds de Garantie des victimes du terrorisme, avant d'admettre qu'elle avait agi par appât du gain.

D'autres usurpateurs, qui s'étaient fait passer pour des victimes de l'attentat de Nice, ont été également condamnés.