Femme voilée verbalisée à Cannes : "une sanction qui paraît peu fondée"

© JEAN CHRISTOPHE MAGNENET / AFP
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C.P.-R. , modifié à
La semaine dernière, une femme arborant un simple voile s'est vu infliger une amende sur une plage cannoise. 

Alors que la polémique autour du burkini agite la France depuis une dizaine de jours, une mère de famille simplement voilée a été verbalisée sur une plage de Cannes, la semaine dernière, au motif qu'elle ne portait pas "une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité". Le 27 juillet dernier, la commune azuréenne avait été la première d'une longue série à prendre un arrêté interdisant le burkini, ce maillot de bain couvrant la totalité du corps. Europe 1 a interrogé Patrice Rolland, professeur à l'Université Paris XII du Val de Marne et spécialiste en droit et libertés.

Dans l'arrêté municipal adopté à Cannes, il est écrit qu'"une tenue de plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse, alors que la France et les lieux de culte religieux sont actuellement la cible d'attaques terroristes, est de nature à créer des risques de troubles à l'ordre public." Mais la notion d'ordre public n'est-elle pas trop floue ?
 
C'est un problème difficile. Avancer le principe général d'une atteinte à l'ordre public est toujours, dans l'absolu, un argument vrai. Le maire de Cannes a eu raison d'invoquer cette notion. Mais en ce moment, est-ce vraiment un argument qui justifie la restriction des libertés individuelles fondamentales comme celles de la liberté du corps, de se vêtir, d'aller et venir, et bien sûr, la liberté religieuse ?

D'autant que toutes les villes de la Côte d'Azur n'ont pas pris des arrêtés interdisant le burkini : est-ce à dire que le risque existe dans une ville, mais pas dans celle d'à côté ? Il ne suffit pas d'invoquer le risque à l'ordre public, puisque ces libertés individuelles sont fondamentales. Il faut en justifier la nécessité et, surtout, le caractère proportionnel de la limitation de la liberté en cause.

Le maire LR de Cannes, David Lisnard, qui soutient le geste de ses policiers municipaux, a déclaré : "Ils ont estimé que la tenue de cette femme n'était pas conforme à l'arrêté". L'arrêté interdit précisément l'accès aux plages et à la baignade à toute personne "n'ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité". Alors, cette femme pouvait-elle être verbalisée à cause de son voile ?
 
Il s'agit une formulation extrêmement vague. Est-ce que le voile est contraire à la laïcité ? C'est l'opinion individuelle du maire de Cannes. L'espace public et la plage ne sont pas des espaces soumis au principe de laïcité, ça c'est une extension pratiquée par les maires du Midi. Au sein de l'espace public, il n'y a pas d'obligation d'être neutre religieusement, le contraire porte atteinte à la liberté religieuse. Le voile pour l'instant, et à partir du moment où le visage est découvert, est interdit uniquement à l'école publique.

D'un point de vue juridique, la sanction du port du voile sur la plage paraît peu fondée. Considérer que le fait qu'une femme soit voilée sur la plage risque de provoquer une émeute paraît très léger. Si cette femme remonte de la plage à la rue, elle ne peut être verbalisée car le port de signes religieux dans l’espace public est garanti par la loi. Dans cette situation précise, il y a peut-être eu un problème d'analyse des faits de la part des policiers. C'est un peu l'histoire du pompier pyromane : on crée le risque en le dénonçant à tort et à travers, en supposant par exemple qu’une femme portant un voile est une islamiste dangereuse ou potentiellement dangereuse. On se trouve ici devant une répression tous azimuts qui risque encore de raviver la polémique. 

Est-on en train d'assister à une dérive, de basculer dans une société de non-tolérance à l'autre ? 

À titre personnel, je le pense. L'un des signes est cette volonté de "laïciser" tout l’espace public, ce qui a été formellement et très clairement refusé par la loi de 1905. Il y a certainement un affrontement culturel qu’on ne peut nier, mais qui ne peut se résoudre par des interdictions touchant à des libertés fondamentales - et qui ne sont pas seulement celles des musulmans.

Quel recours cette femme a-t-elle ?

Elle peut contester son amende devant le tribunal de police en soutenant que le motif de cette contravention, puisqu'elle portait juste un voile, est illégal. Le juge pénal a en effet le pouvoir d'examiner la légalité de l'arrêté municipal. Cette femme peut aussi contester l’arrêté lui-même, devant un juge administratif.