Baisse de fréquentation, polémiques sur les animaux, coût exorbitant des tournées : les cirques traditionnels français jonglent avec les difficultés financières. Le plus célèbre d’entre eux, le cirque Pinder, créé en 1854, a vu sa société d’exploitation placée en liquidation judiciaire le 2 mai, à la demande de son patron. Le chiffre d’affaires de Pinder a dégringolé en trois ans de 7,4 millions d’euros à 5,2 millions d’euros. "Et les quatre grands cirques de France sont dans la même situation que moi", assure le patron de Pinder Gilbert Edelstein, également président du Syndicat national du cirque, en parlant de Bouglione, Gruss et Medrano.
Une itinérance trop chère. "Quand vous dépensez plus que vous ne gagnez, il faut mieux arrêter." Gilbert Edelstein, à la tête de Pinder depuis 1983, a détaillé à Europe 1 les graves difficultés financières qui ont motivé le placement en liquidation judiciaire. Avec, en premier lieu, les frais d’itinérance du cirque. "Les frais d’itinérance coûtent une fortune (…) Le cirque est avant tout une entreprise de transport, on a 35 gros convois et plus de 120 véhicules. C’est ensuite une entreprise de bâtiment, quand on monte et démonte les chapiteaux. Et c’est enfin une entreprise de spectacle", détaille Gilbert Edelstein. Ainsi, 90% des frais du cirque Pinder sont dédiés à la gestion et au fonctionnement, les 10% restant étant alloués aux spectacles. Carburant, assurance, taxes : Gilbert Edelstein estime entre 20.000 et 30.000 euros les frais quotidiens liés à l’itinérance. En revanche, selon lui, les petits cirques plus familiaux s'en sortent mieux en raison de la plus faible masse salariale - alors que Pinder emploie quelque 120 salariés.
Les séances scolaires en chute libre. D’après le patron de Pinder, le changement de rythme scolaire a également été préjudiciable au cirque. "Depuis quatre ans, on a une chute extraordinaire des séances scolaires. Ça, on le doit à la semaine des quatre jours et demi. En 2014, on faisait 450.000 scolaires en moyenne, l’année dernière on n’en a même pas fait 100.000. On a perdu plus de deux millions d’euros", affirme Gilbert Edelstein. Parmi les autres raisons avancées pour expliquer la chute de son chiffre d’affaires, le patron du cirque Pinder avance le pouvoir d’achat des Français ou encore le contexte sécuritaire. "Avec les attentats, les gens font très attention quand ils vont dans un endroit plein de monde", remarque-t-il. Par ailleurs, les spécialistes s’accordent à dire que les cirques traditionnels ont pris un coup de vieux, quand d’autres cirques, comme le Cirque du Soleil basé au Canada, ont renouvelé le genre en incluant dans leurs spectacles plus de "show", avec des acrobates et même des sportifs de haut niveau.
L'animalisme en cause ? En revanche, selon Gilbert Edelstein, les différentes polémiques sur les animaux sauvages ou le militantisme animaliste n’ont pas eu un impact significatif sur la fréquentation du cirque traditionnel. "Sur dix coups de fil qu’on reçoit, neuf nous demandent s’il y a bien des animaux dans le spectacle. Les gens viennent pour cela", assure le patron de Pinder, dont la ménagerie compte 50 animaux. Il indique par ailleurs que les cirques traditionnels sont extrêmement suivis sur cette question. En parlant des petites villes qui refusent l’installation de cirque sur leur commune, le président du Syndical national du cirque tance : "Elles sont hors la loi. À chaque fois qu’on fait un procès avec le syndicat contre une ville qui prend le prétexte de la faune sauvage, elles perdent. La loi nous permet (d’avoir des animaux sauvages). Un tigre ou un lion est beaucoup plus suivi qu’un pédophile ou un fiché S, c’est draconien !", compare-t-il, évoquant les charges administratifs et le puçage des animaux. Une soixantaine de communes ont déjà pris un arrêté pour interdire l’installation de cirques avec des animaux sur leur territoire, selon l’association de défense des animaux Peta.
En 2014, à Limoges, des militants protestaient contre la présence d'animaux dans les cirques. ©PASCAL LACHENAUD / AFP
Pas de subvention du ministère de la Culture. Contrairement aux autres arts vivants, le cirque traditionnel ne perçoit plus d’aide financière de l’État. Le patron du Syndicat national du cirque dénonce cette différence de traitement : "Des millions sont dépensés chaque année par le ministère de la Culture qui donne (des subventions) aux cirques de création, qui n’ont pas d’animaux. Nous, on est complètement exclu (…) Je regrette que la Culture n’aide pas ceux qui sont plébiscités par le public." Gilbert Edelstein rapporte que quatorze millions de Français se rendent dans un des 150 cirques traditionnels (fixes ou itinérants) de France chaque année, contre un million pour les cirques de création. Fin mars, dans un discours sur les zones rurales dépourvues d'événements culturels, la ministre Françoise Nyssen avait annoncé "un plan de soutien de 500.000 euros aux cirques traditionnels, trop souvent déconsidérés"."Si on n’est pas aidé par la Culture, je pense que le grand cirque itinérant, c’est fini", en conclut le patron de Pinder.
De l’itinérance à la sédentarisation ? Si les prochains spectacles Pinder en province ont tous été annulés, la direction assure que le cirque se produira bien à Paris de novembre à fin janvier. Dans une déclaration à l’AFP, Gilbert Edelstein affirme : "Le cirque Pinder n’est pas mort !" Bien qu’il compte en réduire l’activité itinérante, le patron poursuit son projet de parc d’attraction fixe en Seine-et-Marne, baptisé Pinderland, dont la date d’ouverture n’a pas été encore annoncée.