Alors que la vidéo d’un enfant de sept ans "tapé tous les jours" suscite l'émotion sur la toile, les chiffres continuent aussi d’inquiéter. Selon les statistiques officielles du ministère de l’Education, un enfant sur dix est victime de harcèlement scolaire (injures, moqueries, discriminations ou agressions répétées), la moitié pour des faits dits "graves". Un nombre conséquent, mais largement sous-estimé selon diverses associations.
L’Unicef, qui publie jeudi une enquête menée auprès de 26.000 enfants français de 6 à 18 ans, évoque ainsi le chiffre de 30% d’élèves qui seraient victime d’un type de harcèlement. En cette journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire, se pose alors une question : que peut faire l’Education nationale pour enrayer ce fléau ?
Une vive prise de conscience depuis 2011…
Puni d’une amende, voire d’une peine de prison, le harcèlement scolaire peut aussi donner lieu à une réponse éducative. Selon le degré de gravité, le harceleur ou ceux qui le "couvrent" peuvent faire l’objet d’une sanction disciplinaire et/ou d’une exclusion. Mais comment empêcher que cela n’arrive ? Comment éviter que le harceleur ne récidive malgré la sanction ? Depuis les Assises nationales contre le harcèlement lancées en 2011, le sujet est devenu une préoccupation majeure des divers ministres successifs de l’Education nationale.
Le sujet a désormais une bonne place dans la formation des enseignants, qui est censée contenir un volet sur les signes qui doivent alerter (voir encadré) et les manières de répondre. Les enseignants peuvent apprendre, par exemple, comment le fait de "couper" le harceleur de sa bande, de son "public"(en le changeant de place ou en sanctionnant ceux qui rient, par exemple), permet d’atténuer ses envies de moqueries.
En 2015, la ministre Najat Vallaud-Belkacem a également fait adopter un plan spécial, dédié au sujet, comprenant plusieurs mesures concrètes :
- La mise en place d’un numéro vert (le 3020) accessible à tous, que ce soit les élèves (témoins ou victimes), les parents ou le personnel éducatif.
- La création de "référents harcèlement" (deux par Académie, deux par départements), chargés de répondre aux situations remontées via ce numéro vert ou par signalement.
- La création d’une journée annuelle nationale dédiée, lors de laquelle les établissements doivent organiser des opérations de sensibilisation (en faisant intervenir des associations, des chercheurs ou des témoins, par exemple) et qui donnent lieu à chaque fois à la publication d’une ou plusieurs campagnes de sensibilisation, notamment via des clips sur internet.
- Enfin, le gouvernement met à disposition des enseignants et des établissements un ensemble de ressources, comme des guides ou des adresses de formations ponctuelles, notamment recensées sur le site NonAuHarcèlement
Les cours d’Enseignement moral et civique, que doivent suivre les élèves de primaire et de secondaire, contiennent également un volet sur la question : "À travers la connaissance des mécanismes du harcèlement scolaire et ses conséquences, les élèves appréhendent la nécessité de respecter autrui et d’accepter les différences des autres à l’école", lit-on dans un texte de référence sur ces cours.
… Mais une réponse qui reste incomplète
Les différentes mesures prises depuis 2011 semblent commencer à porter leurs fruits. Selon le ministère de l’Education, les cas de harcèlement "grave" ont baissé de 6,2 à 5,7% depuis cette date. Et d’après une enquête internationale de l'association HBSC (Health Behaviour in School-aged Children), le nombre de cas global a, lui, baissé de 15% entre 2010 et 2014 en France. Le signe que les réponses apportées ne sont pas vaines… Même si ces réponses (et les statistiques) dépendent de la capacité d’un établissement à détecter le harcèlement.
"On est assez bien équipé pour répondre aux cas de harcèlement. Mais la difficulté, c’est d’être tenu au courant [de ces cas]. C’est un peu plus compliqué à traiter qu’une incivilité courante qui a des effets visibles", commente sur Europe 1 Philippe Vincent, secrétaire générale du SNPDEN, principal syndicat de proviseur. Car c’est bien là que le bât blesse : pour évaluer les dispositifs de lutte contre le harcèlement scolaire, encore faut-il que les cas soient connus. D’après différentes estimations d’associations, 25% des enfants victimes ne parlent à personne de leur situation. 40 % n’en parlent à aucun adulte. Et s’il n’existe pas de statistiques sur la question, les spécialistes s’accordent à dire que dans de très nombreux cas, un harcèlement se solde par un changement d’établissement de la victime, à défaut de pouvoir mobiliser le personnel éducatif.
" Et si on apprenait aux élèves à se défendre ? "
Pour un enfant, parler de violence scolaire n’est en effet pas toujours aisé (voir encadré). Et l'école peut jouer un rôle pour améliorer les choses. "Il est important d'aider les élèves à différencier les différents langages utilisés pour caractériser les situations de harcèlement […] Et les enseignants jouent un rôle important dans la construction de la signification des valeurs qui sont concernées par les situations de harcèlement, comme le respect, l'altérité ou la justice", décrypte la sociologue Maria Pagoni-Andréani, auteure d’une thèse sur le sujet. Or, sur le sujet, les enseignants sont peu armés. Si la formation initiale des professeurs du primaire et du secondaire contient bien un volet harcèlement, elle ne permet pas forcément de comprendre le phénomène et ses causes, ni la manière d’en parler aux enfants.
"Il nous faudrait une formation plus concrète pour mieux comprendre ce qui se joue dans toutes les situations. La plupart du temps, il s'agit de problèmes larvés qu'on ne découvre que plus tard, au cours du conseil de classe par exemple", témoigne dans le Huffington Post une enseignante récemment formée. Pour Maria Pagoni-Andréani, outre la formation, la réponse doit passer par une coopération plus étroite entre enseignants, infirmiers, CPE et documentalistes au sein d’un même établissement, afin de partager les expériences et informations sur les élèves.
Blanquer prépare lui aussi de nouvelles mesures
Certains spécialistes déplorent également le peu de prise en compte de la capacité des victimes à se défendre, et prônent ainsi un meilleur accompagnement pour travailler leur confiance en elles. "Et si on apprenait aux élèves à se défendre [verbalement ndlr] ? Cette démarche n’est jamais le premier réflexe des adultes qui, n’écoutant que leur bon cœur, volent au secours de l’enfant harcelé. Cependant, en intervenant tel Zorro pour sermonner le harceleur, le responsable d’établissement ou l’enseignant renforce bien souvent, sans le vouloir, l’image de victime de l’élève harcelé", écrivent dans The Conversation les psycho-praticiennes Nathalie Goujon et Emmanuelle Piquet, qui regrettent que ce volet ne figure pas dans la formation du personnel éducatif alors qu’un diplôme universitaire existe sur le sujet.
" Le climat scolaire va devenir un critère majeur d’évaluation des établissements "
Pour accentuer la lutte, le ministre Jean-Michel Blanquer a promis de faire du harcèlement scolaire "une priorité" et promet de nouvelles réponses rapides. Parmi les plus concrètes : un renforcement de la formation des enseignants et la mise en place d’un système d’évaluation du "climat scolaire". Il s’agira, notamment, d’envoyer un questionnaire à chaque élève de France, pour connaître son état d’esprit et comment il se sent dans son école, son collège ou son lycée. "Le climat scolaire va devenir un critère majeur d’évaluation des établissements", promet le ministre. Déjà mis en place dans certains départements, ce type d’enquêtes devrait se généraliser rapidement. Avec comme objectif d’avoir fait baisser les chiffres lors de la prochaine journée nationale de lutte contre le harcèlement.
Quand et comment en parler aux enfants ?
Les violences scolaires, "tous les enfants n’en parlent pas. Pour en parler, il ne faut pas avoir peur, ni honte. Il faut avoir confiance en l’adulte", expliquait récemment à Europe 1 Héléne Romano, psychologue et auteur de Harcèlement en milieu scolaire : Victimes, auteurs : que faire ?. Ainsi, les adultes ignorent souvent que les enfants sont victimes de violences. Comment leur parler ? D’abord, il s’agit de repérer. Maux de ventre, de tête, troubles du sommeil ou de l’alimentation, boycott des cours, de la cantine ou même de la récré, matériel de classe ou vêtements endommagés… Certains signes peuvent mettre sur la voie.
Ensuite, "si l’enfant sent que vous êtes stressé, il va essayer de vous rassurer. Il ne faut pas lui parler de lui mais plutôt essayer d’avoir son sentiment sur le collège en général, en lui disant par exemple : ‘Comment ça se passe au collège ? J’ai entendu dire qu’il y avait parfois des violences’", détaille Héléne Romano.
Et d'enchaîner : "Ensuite, vous pouvez en arriver à lui : ‘et toi, comment ça se passe ?’. Et s’il continue à nier, parlez-lui de votre sentiment personnel, à vous, pas à lui : ‘moi, j’ai l’impression personnellement que ça ne va pas pour toi. Si tout va bien, tant mieux, mais si tu veux en parler, tu sais que tu peux me faire confiance, je serai toujours là pour toi’". Une fois que l’enfant s’est confié, "il est important de le valoriser, de lui dire qu’il a eu raison de se confier car la situation qu’il vit est effectivement insupportable et de l’encourager sur ses points forts (résultats scolaires, sportifs ou autre) afin qu’il gagne confiance en lui".