À chacun sa vérité et Napoléon Bonaparte avait la sienne. Stéphane Bern, lors de l’émission "Historiquement vôtre", revient sur les fois où l’ancien Empereur des Français a changé la réalité. Le premier exemple concerne un tableau que tout le monde connaît, celui de Napoléon Bonaparte au pont d'Arcole, peint par Antoine-Jean Gros. Cette toile représente le jeune général en chef brandissant un drapeau et tenant fermement son sabre sous le feu des forces autrichiennes.
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Une scène censée représenter un épisode célèbre de l'Histoire
L'image est restée dans les annales comme un symbole de la glorieuse première campagne d'Italie. Napoleon Bonaparte menant ses hommes au combat. Napoleon Bonaparte en chef militaire au courage exemplaire. Cette scène épique, censée représenter un épisode célèbre de l'Histoire, se déroule le 15 novembre 1796 à l'ouest de Vérone, au nord de la botte italienne.
Le jeune Napoléon Bonaparte, alors âgé de 27 ans à peine, est encore largement anonyme ou presque. Il vient d'être nommé au début de cette même année au poste prestigieux de général de l'armée d'Italie. Bonaparte a une mission importante à conduire : contrer l'influence de l'Autriche, fer de lance de la Première Coalition. Cette alliance, formée par plusieurs États monarchiques européens pour lutter contre la France révolutionnaire.
Engagé dans ce conflit depuis le mois de mars, il a déjà plusieurs victoires à son actif contre les Piémontais et les Autrichiens, mais l'Autriche n'a pas encore dit son dernier mot. Les Français tentent plusieurs assauts, mais le feu ennemi les empêche de franchir le pont qui relie la ville, le fameux pont d'Arcole, celui du tableau. Pour motiver les soldats découragés qui rechignent à avancer sur le pont, le général Bonaparte descend de cheval, tire son sabre, s'empare d'un drapeau et s'élance sur les planches en bois. Et là se forge la légende. Inspirés par tant de bravoure, ses soldats s'élancent à leur tour et l'armée du futur empereur terrassant l'ennemi.
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Des arrangements avec la réalité
"Sauf que cela ne s'est pas vraiment passé comme ça. Bonaparte s'élance, mais en réalité, il n'est pas très suivi dans son geste. Pire, il ne parvient pas à franchir le pont et finit par tomber dans un marécage boueux", raconte Stéphane Bern dans "Historiquement vôtre".
"La victoire, d'ailleurs, ne sera remportée que deux jours plus tard. Et à quel prix ? Des milliers de morts et de blessés dans le camp des Français. Etrange. Ce n'est pas ce que l'Histoire a retenu", ajoute l’historien. Le célèbre tableau signé Antoine-Jean Gros et d'autres d'ailleurs, car le sujet a beaucoup inspiré les artistes, dépeindrait en fait les instants qui ont précédé une débâcle, juste avant que le général en chef ne tombe dans la boue. Ce tableau trompeur a même été commandé par Napoléon Bonaparte, lui-même conscient, déjà à cette époque, de l'importance de son image et du profit qu'il avait à tirer de la contrôler.
Ce premier arrangement avec la réalité, ce premier mensonge significatif est le premier d'une longue série, Napoléon va le prouver à de multiples reprises. Il ne craint pas de réécrire l'histoire à son avantage. Et la peinture n'est qu'un outil parmi tant d'autres dans son arsenal de communication, dans l'arsenal de propagande qui va forger sa légende. Outre les tableaux, le général n'hésite pas à profiter des journaux qu'il contrôle. C'est le cas du Courrier de l'armée d'Italie, de La France vue de l'armée d'Italie ou encore du Journal de Bonaparte et des hommes vertueux qu'il crée en 1797. Dans ces médias, c’est lui qui écrit certains des articles.
Une réecriture criminelle de l'Histoire
"On peut y lire par exemple ces quelques lignes éloquentes. ‘Bonaparte vole comme l'éclair et frappe comme la foudre. Il est partout et il voit tout. Il sait qu'il est des hommes dont le pouvoir n'a d'autres bornes que leur volonté, quand la vertu des plus sublimes vertus seconde un vaste génie’", raconte Stéphane Bern.
Parfois, cette tendance à réécrire l'Histoire en sa faveur s'avère même criminelle. Il en est ainsi de son interprétation de l'attentat de la rue Saint-Nicaise. Le soir du 24 décembre de l'année 1800, Bonaparte, devenu Premier consul depuis le coup d'État du 18 Brumaire, est la cible d'une tentative ratée d'assassinat à la bombe. "Les conspirateurs, le chef de la police va bientôt le prouver, sont des Chouans, autrement dit des insurgés royalistes. Mais le Premier consul, lui, s'entête à accuser le milieu des Jacobins, profitant de l'occasion pour purger ses principaux opposants de gauche", explique l’historien.
Manipulation des vérités historiques
130 d'entre eux seront exilés, dont beaucoup déportés vers les Seychelles ou la Guyane. Autre victime collatérale des petits mensonges de Napoléon, le duc d'Enghien. Ce prince de sang royal, ultime descendant de la prestigieuse maison de Condé, est enlevé dans la principauté de Bade en mars 1804, puis, au terme d'un procès pour le moins expéditif, fusillé à la sauvette dans les fossés du château de Vincennes. Là encore, c'est une condamnation pour l'exemple. On l'accuse de complot contre la sûreté de l'État, et son exécution sommaire vise avant tout à terroriser le camp des royalistes, et c'est efficace. La voie est désormais libre pour proclamer le Premier Empire, un régime qui, là encore, ne va pas hésiter à manipuler les vérités historiques.
Comme il l'avait fait durant la campagne d'Italie, Napoléon se sert à nouveau d'un journal pour diffuser auprès de son peuple des informations soigneusement maquillées à son avantage. À partir de 1805, chaque campagne militaire s'accompagne de l'édition de bulletins militaires, les fameux et très épiques bulletins de la Grande Armée, que le peuple français, toutes classes confondues, va lire religieusement. Napoléon supervise chacun des articles qui sont écrits.