Chacune de ses paroles semble attiser la braise. François Hollande a reçu mercredi soir en urgence les deux plus hauts magistrats de France après la publication de ses confidences acerbes contre l’institution judiciaire. Une courte entrevue qui n’a pas suffi à apaiser la situation. Ce jeudi matin, lors d'une audience solennelle, le premier président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel, a reproché au chef de l'Etat de "diffuser parmi les Français une vision (...) dégradante de leur justice". Au cœur de la polémique, ces propos lâchés aux deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, rapportés dans leur livre Un président ne devrait pas dire ça… La magistrature ? "Une institution de lâcheté", selon le président de la République. "C’est quand même ça, tous ces procureurs, tous ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux… On n’aime pas le politique."
Un mandat d’apaisement. En quelques mots, François Hollande a dilapidé tout son crédit auprès des juges. Lui qui, la semaine dernière encore, louait publiquement leurs qualités. "Ce sont d’abord les magistrats qui font la grandeur de la justice", avait-il déclaré lors de son discours devant l’Union syndicale des magistrats. Lui surtout, qui depuis le début de son mandat n’avait jamais pris publiquement position contre une décision de justice. Quitte, parfois, à se mettre à dos une partie de l’opinion publique, comme lorsqu’il n’accorde qu’une grâce partielle à Jacqueline Sauvage, condamnée à dix ans de prison pour avoir tué son mari violent. Selon l’entourage du Président, celui-ci avait tout intérêt politiquement à lui accorder une grâce totale mais il ne l’a pas fait pour respecter l’institution judiciaire. En 2013, la suppression des "instructions individuelles" avait été saluée par la profession : désormais le garde des Sceaux ne peut plus donner aux parquets des instructions individuelles sur des dossiers en cours. Tout comme, l’année suivante, la suppression des peines planchers pour les récidivistes, mesure phare de son prédécesseur.
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Après un quinquennat particulièrement tendu entre Nicolas Sarkozy et l’institution judiciaire, les années Hollande faisaient figure d’apaisement. Les "petits pois sans saveur", comme les avait appelés l’ancien Président, semblaient progressivement se réconcilier avec l’exécutif. Oubliées les attaques tout azimut au point de déclencher en 2011, une grève historique des magistrats après que Nicolas Sarkozy a fait peser sur eux une partie de la responsabilité du meurtre de Laetitia Perrais. "Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s'assurer qu'il sera suivi par un conseiller d'insertion, c'est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c'est la règle", avait alors déclaré l’ex-chef de l’Etat. L'enquête avait conclu à l'absence d'erreurs de la part des magistrats.
Des promesses de campagne non tenues. Si les relations entre l’exécutif et le monde de la justice semblaient,jusqu’à hier, relativement apaisées sur le fond, le mandat de François Hollande n’a pas fait taire toutes les critiques. Plusieurs promesses de campagnes très attendues au sein de la profession - la réforme du Conseil supérieur de la magistrature ou l’inscription dans la Constitution du principe d’indépendances du parquet - ont été reportées sine die. De même, ils ont perdu l’espoir de voir se réaliser la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, comme il s’y était pourtant engagé le candidat à la présidentielle. Des déceptions que la hausse du budget de la justice - 9% en 2017 - ne saurait totalement compenser. Au contraire, pendant le quinquennat, d’autres inquiétudes sont nées, notamment les pouvoirs toujours plus grands accordés aux autorités administratives. En janvier, Bernard Louvel avait tiré la sonnette d’alarme, s’inquiétant que le gouvernement marginalise l’autorité judiciaire au gré des lois sur le renseignement ou l’état d’urgence.
Alors que la candidature de François Hollande à sa succession semble de plus en plus probable, ces confidences tombent au plus mauvais moment. Dans son premier discours en tant que président, le 6 mai 2012 à Tulle, François Hollande avait formulé un souhait. "Je demande à être jugé sur deux engagements majeurs : la justice et la jeunesse". L’heure a sonné.