Après une commémoration du 8 Mai 1945 sur des Champs-Elysées quasiment vides, Emmanuel Macron est arrivé à Lyon pour rendre hommage à Jean Moulin et à la Résistance. Quelques milliers d'opposants l'attendaient, tenus à bonne distance par les forces de l'ordre. Pour éviter les risques de "casserolades", récurrents en marge des déplacements du chef de l'Etat depuis l'adoption de la réforme des retraites, la préfecture du Rhône a interdit les rassemblements et la circulation sur environ un kilomètre carré autour de la prison de Montluc, où a lieu la cérémonie.
Un dispositif "un peu exagéré"
Le dispositif est "impressionnant", "un peu exagéré", estime à l'AFP Elena, une étudiante de 20 ans. Plusieurs groupes de manifestants, 3.000 personnes selon la préfecture, défilaient à l'extérieur du périmètre de sécurité, certains brandissant des drapeaux aux couleurs de la CGT ou de FO, d'autres tapant sur des casseroles. "On ne dit pas que la situation actuelle est comparable à 1945, on dit simplement que le gouvernement ne peut pas piétiner l'héritage social de la Résistance", a commenté Samuel Delor de la CGT du Rhône. Ces rassemblements, "c'est un peu déplacé, on doit faire une sorte de parenthèse le 8 mai", a estimé sur BFMTV la députée RN Marine Le Pen.
"La Résistance ça concerne tout le monde"
Quelque 3.000 personnes selon la préfecture, 5.000 selon la CGT, prenaient part à la manifestation émaillée de tirs de gaz lacrymogènes et de quelques dégradations : vitres de la porte de la mairie de l'arrondissement cassées, comme des vitres de voitures et un abribus, conteneur à verre renversé, palettes enflammées, ont constaté des journalistes de l'AFP. La préfecture du Rhône ayant interdit tout rassemblement dans un large périmètre autour du mémorial, les participants défilaient en bordure de la zone interdite. Les forces de l'ordre repoussaient toute tentative d'incursion en zone prohibée par des tirs de gaz lacrymogènes, selon les journalistes de l'AFP.
"La Résistance ça concerne tout le monde, c'est pas normal qu'on ne puisse pas assister aux cérémonies d'hommage à Montluc", a confié parmi les manifestants Jean-Pierre Mestat, retraité de 74 ans. "Les gens sont en colère. Si on veut faire tomber la colère, il faut agir autrement". Le tribunal administratif de Lyon a rejeté dans la matinée un recours en référé-liberté déposé la veille par des syndicats, dont la CGT du Rhône, contre l'interdiction préfectorale de manifester à proximité du mémorial où le président a rendu hommage à la Résistance et notamment à Jean Moulin. La CGT a maintenu son "appel à commémorer l'œuvre sociale de la Résistance" aux abords de la zone interdite, comme FO, le PCF, une intersyndicale de l'éducation et d'autres organisations.
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La manifestation a rassemblé des personnes aux profils différents et de tous âges : syndicalistes arborant leurs drapeaux, personnes munies de casseroles, devenues un objet symbolique des protestations contre la réforme des retraites, quelques dizaines de jeunes tout de noir vêtus. Elle avait débuté dans une ambiance bon enfant vers 14H00 devant des barrières dressées par les forces de l'ordre. Vers 17h les manifestants étaient rassemblés sur une place non loin de la bordure du périmètre et commençaient à se disperser.
"Ce dispositif policier est antidémocratique. On atteint là une limite. C'est méprisant pour le peuple", protestait Charlotte Abalé Gnahoré, costumière et professeure contractuelle de 36 ans, également remontée contre la réforme des retraites récemment adoptée. "La politique de Macron va à l'encontre de ce pourquoi les résistants se sont battus et sont morts. C'est une honte pour notre pays et pour la démocratie", a-t-elle tancé. "Macron ne veut pas nous voir, il a dit aux flics 'jetez-les, éjectez-les'. Il n'a pas d'empathie", protestait pour sa part Cathy Smadja, conductrice de bus de 59 ans. "8 mai: commémorer la résistance c'est défendre ses conquêtes ! Pas touche à nos retraites !", clamait une des nombreuses banderoles déployées par les manifestants.
Un nouveau cycle mémoriel
Dans l'ancienne prison de Montluc, Emmanuel Macron va rendre hommage à la "Résistance française et aux victimes de la barbarie nazie", précise l'Elysée. Il sera accompagné du garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, du ministre de l'Education nationale Pap Ndiaye et de la secrétaire d'Etat chargée des Anciens combattants et de la Mémoire Patricia Miralles. La cérémonie, à l'approche du 80e anniversaire de l'arrestation et de la mort de Jean Moulin, ouvre un nouveau cycle mémoriel qui se poursuivra le 6 juin 2024 avec la commémoration du Débarquement en Normandie et s'achèvera le 8 mai 2025 pour les 80 ans de la Victoire.
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Préfet de 1937 à 1940, premier président du Conseil national de la Résistance (CNR), Jean Moulin fut arrêté le 21 juin 1943 à Caluire, près de Lyon, par le chef local de la Gestapo, Klaus Barbie. Affreusement torturé, il garda le silence et décéda, des suites des blessures infligées, le 8 juillet 1943 en gare de Metz dans le train qui le conduisait en Allemagne. Emmanuel Macron se rendra dans sa cellule et dans celle du "boucher de Lyon", Klaus Barbie, qui passa une semaine à Montluc après son arrestation en 1983. Il fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité quatre ans plus tard.
"Esprit de résistance propre au peuple français"
Le chef de l'Etat va exalter à travers Jean Moulin "cet esprit de résistance qui est propre au peuple français", indique l'Elysée. "C'est ce qui a permis au général de Gaulle de devenir un acteur incontournable vis-à-vis des Anglo-Saxons" et à la France de rejoindre le camp des vainqueurs après les errements du régime collaborationniste de Vichy, souligne la présidence. "Tout cela n'aurait pas été possible si Jean Moulin n'avait pas assemblé autour de lui toutes les forces du renouveau", venant de tous les horizons politiques.
Le chef de l'Etat, qui tente de tourner la page de la crise des retraites, en profitera-t-il pour lancer un nouvel appel à la "concorde" ?