On les décrit généralement comme des lieux paisibles, propices aux balades en famille et source de fraîcheur en période de forte chaleur. Les forêts sont également censées nous préserver de la pollution atmosphérique grâce, entre autres, au phénomène de photosynthèse qui permet l'absorbation du dioxyde de carbone et la production d'oxygène. Un processus hélas de plus en plus difficile à accomplir pour nos forêts. Selon les données publiées par le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa), la capacité de stockage du CO2 au sein de nos espaces forestiers a été divisée par deux en l'espace de dix ans.
"Dans certaines zones, on avait des forêts qui étaient des puits de carbone et qui ont tendance à devenir source de carbone", illustre Christine Deleuze, directrice du projet Stratégie Carbone de l'Office nationale des forêts (ONF). Autrement dit, certaines forêts commencent à émettre plus de CO2 qu'elles n'en absorbent, allant ainsi à l'encontre du rôle qu'on leur connaît habituellement. Un phénomène largement imputable au réchauffement climatique. L'élévation globale de la température à la surface de la Terre favorise l'apparition de phénomènes météorologiques extrêmes devant lesquels les forêts peinent à s'adapter.
Des insectes ravageurs qui pullulent avec les fortes chaleurs
Les incendies, particulièrement virulents l'année dernière, empêchent la forêt de jouer son rôle de purificateur d'air. "Quand un arbre meurt il ne peut plus absorber de carbone. Et vous avez des émissions massives de carbone lors d'un incendie", confirme Florin Malafosse expert forêts et filière bois chez Solagro. "Les arbres seront bien remplacés par d'autres mais il faut environ 10-15 ans à la forêt pour qu'elle revienne à son état de pompe à carbone", complète Christine Deleuze.
Souvent à l'origine du déclenchement d'un feu de forêt, les fortes chaleurs et la sécheresse des sols constituent elles-aussi une atteinte au bon fonctionnement des écosystèmes forestiers. "Lorsque les étés sont très secs, les arbres croissent beaucoup moins vite et vont réduire leur photosynthèse. La biomasse croît elle aussi moins vite et le puits de carbone diminue", développe Florin Malafosse. En parallèle, les températures élevées contribuent à la prolifération d'insectes particulièrement nuisibles. "Les épicéas notamment sont victimes du scolyte, un insecte qui pullule avec les températures plus clémentes que d'habitude", poursuit l'expert. En creusant des galeries sous l'écorce des arbres, ces insectes microscopiques se rendent coupables d'une baisse de la fructification des végétaux concernés. Conduisant à terme à leur dépérissement et, donc, à leur incapacité à capter du carbone.
L'objectif de neutralité carbone menacé ?
Les données du Citepa révèlent toutefois des disparités en fonction des zones géographiques. Ainsi, les Hauts-de-France, la Corse et le Grand-Est sont particulièrement concernées par le phénomène. Dans ces régions, les forêts sont émettrices de CO2 et participent, de fait, au réchauffement climatique. À l'inverse, la Nouvelle-Aquitaine présente un puits de carbone légèrement en hausse. "Dans les Landes, on a une forêt qui est complètement exploitée. Donc même en cas d'incendie, un an après, tout le monde va replanter", remarque Julien Ruffault, chercheur post-doctoral à l'URFM Inrae à Avignon. Toutefois, les données collectées après les incendies destructeurs qui ont ravagé la forêt en contre-bas de la dune du Pilat en Gironde à l'été 2022 n'ont pas encore été publiées.
Cette incapacité de certaines forêts à agir en tant que pompe à carbone menace l'objectif de neutralité carbone que doit atteindre la France à l'horizon 2050. "Les émissions du résidentiel, des transports, de l'industrie doivent être compensées par les puits de carbone et former ainsi un équilibre", indique Florin Malafosse. Objectif difficilement atteignable si les forêts commencent à émettre elle-mêmes des gaz à effet de serre. Le gouvernement doit justement présenter, d'ici à l'été, la troisième édition de sa stratégie nationale bas carbone. Les objectifs initiaux pourraient ainsi être revus à la baisse.
Un (maigre) motif d'espoir
Faut-il alors sombrer dans le pessimisme le plus profond ? Non, assurent les experts. "On a eu un minimum forestier au milieu du XIXe siècle. Mais depuis, la surface de nos forêts a beaucoup progressé. On est encore dans une forêt qui mature et qui grandit", indique Christine Deleuze. Un constat que corrobore Florin Malafosse. "La plupart des arbres en France ont moins de 100 ans et donc ils sont dans des phases où ils croissent de manière importante et stockent du carbone". Un soupçon d'optimisme qu'il convient malgré tout de nuancer. "Les prévisions qu'on pouvait avoir sur le puits de carbone ont toutes été revues à la baisse", conclut Florin Malafosse.