Bombes artisanales, cocktail molotov, tirs de mortiers d’artifice… De mémoire de CRS, les scènes de guérilla urbaine dimanche à Bastia, lors de la manifestation de soutien à Yvan Colonna, auront rarement été aussi intenses. "D’une violence inouïe", nous rapporte l’un d’entre eux qui était en première ligne. Les comptes-rendus de service écrits et remontés à la hiérarchie des trois compagnies engagées à Bastia, et qu’Europe 1 a pu consulter, donnent à ressentir l’intensité des heurts. Ces comptes-rendus détaillent minute par minute les événements survenus, les ordres reçus et les manœuvres réalisées.
L’opération de maintien de l’ordre commence à midi. Un peu avant, même, pour la CRS 53 de Marseille venue en renfort à Bastia et cantonnée à Furiani. Alors que les CRS partent de leur bâtiment un peu avant 11 heures, ils sont appelés dès la sortie de leur bâtiment par une mère pour son enfant de six ans qui fait un malaise. Faux départ. Ils doivent attendre la prise en charge par les pompiers, avant de reprendre la route et rejoindre leur poste au niveau de la préfecture.
Actes prémédités
Outre la 53, les compagnies 59 et 50 sont aussi chargés de défendre ce bâtiment devenu le symbole du pouvoir parisien en Haute-Corse. Vers 13h30, des policiers, alertés que des projectiles se trouvent sur le toit d’un immeuble en face de la préfecture, neutralisent la trappe d’accès. Une heure plus tard, des effectifs locaux découvrent plus de 350 cocktails dans une demi-douzaine de sacs dans un parking du centre-ville. À 14h45, 1.200 manifestants sont comptabilisés au niveau du tribunal de Bastia. La physionomie de la manifestation est qualifiée de "calme".
Dix minutes plus tard, la CRS 53 observe la présence de 60 "manifestants cagoulés" devant le bar "Le Pénalty", place de l’hôtel de Ville, puis une heure plus tard, une centaine d’individus cagoulés devant l’entrée principale de la préfecture. La CRS 59, positionnée un peu plus loin constate, elle aussi, au même moment le mouvement de ces "jeunes cagoulés" qui contournent le dispositif sur le côté Est. Entre temps, les effectifs de toutes les compagnies se sont casqués, signe d’une montée en tension.
"Bons offensifs"
À 16 heures, plusieurs individus sont repérés en train de préparer des cocktails molotov au niveau du parking de la gare et en face de la préfecture. Alors que le cortège arrive à ce moment-là devant la préfecture, la tension monte d’un cran. Des fumigènes sont allumés et les premiers projectiles pleuvent sur les forces de l’ordre, selon ces documents dont Europe 1 a pris connaissance. À 16h10 les sommations d’usage sont annoncées par le commissaire en charge du dispositif. S’ensuivent alors une pluie de grenades lacrymogènes qui saturent l’air et l’espace aux abords de la préfecture. Les forces de l’ordre vont alors alterner entre assauts pour gagner du terrain et phases de repli pour se mettre à l’abri et recharger leurs munitions.
Ensuite, à 16h30, la CRS 53 subit une offensive avec de nombreux engins explosifs "avec polycriblages". Des barricades sont montées, les premiers blessés du côté des forces de l’ordre sont emmenées à l’hôpital. Vers 17 heures, une centaine d’individus cagoulés mènent un assaut au niveau d’un barrage de la rue du Chanoine Colombani, une des rues menant à la préfecture. Les CRS ripostent avec des grenades de désencerclement et des tirs de lanceurs de balle de défense. Plusieurs "bons offensifs" vont alors être menés pour tenter de repousser les individus porteurs de cocktails molotov.
À 17h55, des effectifs de la CRS 59 sont visés par des tirs de boules de pétanque. Peu avant, c’est un policier de la CRS 50 qui venait d’essuyer un tir d’une "boule de pétanque explosive avec des éclats", endommageant son arme de service Sig Sauer et le blessant à l’épaule droite. À 18h18, la CRS 53 signale un jet de bouteilles d’acide. À 18h50, ce sont les gendarmes mobiles qui sont visés par des tirs de carabine à plomb. À 20h10, policiers et gendarmes entendent une "énorme détonation" à proximité de la Poste, avenue du maréchal Sebastiani, puis une demi-douzaine d’autres, endommageant les vitres de l’édifice.
Une cinquantaine de blessés
Vers 20h30, les manifestants hostiles ne sont plus que quelques dizaines. Le retour au calme sera constaté vers 22 heures. Un maintien de l’ordre "hors du commun" à Bastia qui aura mobilisé trois escadrons de gendarmes mobiles, trois compagnies de CRS, les effectifs de police locaux ainsi qu’un engin lanceur d’eau. "La qualification de manifestation est caduque, c’est une bataille, avec des armes qui peuvent tuer", rapporte un policier. Cet affrontement aura duré plus de 5 heures. Selon nos informations, une cinquantaine de policiers et gendarmes ont été blessés, dont quatre sérieusement : main cassée, bras transpercé par des éclats d’explosifs, dents cassées, nez cassé.
Finalement, un bilan humain relativement préservé au regard du récit qu’ont fait les CRS dans leurs comptes-rendus. Au total, les effectifs ont recensé plus de 500 cocktails molotov lancés sur les forces de l’ordre au cours de la soirée et plus de 3.000 grenades lacrymogènes et de désencerclement tirées par les CRS et les gendarmes mobiles. Aucun assaillant n’est parvenu à entrer dans l’enceinte de la préfecture. Une personne a été interpellée. Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, doit se rendre sur l’île de Beauté mercredi et jeudi pour y ramener le calme.