La justice a-t-elle été rendue au nom du peuple français ou des opinions d’un syndicat de magistrats ? Europe 1 s’est procuré un mail que le bureau du syndicat de la magistrature a envoyé à ses adhérents le lundi 17 avril, précisément à 17h40. Une semaine avant le début de l’opération Wuambushu à Mayotte, visant à détruire des bidonvilles insalubres, à expulser des clandestins et à ramener de la sécurité sur l’île. Une opération largement défendue par les élus locaux.
"Une délibération du syndicat de la magistrature", dénonce le député Mansour Kamardine
Invité d'Europe 1 Midi, le député LR de Mayotte Mansour Kamardine a dénoncé jeudi la décision de Catherine Vannier de suspendre la démolition d'un bidonville, dans le cadre de l'opération "Wuambushu". "Ce n'est pas une décision, c'est une délibération du syndicat de la magistrature", a-t-il fustigé au micro de Romain Desarbres. "Toutes ces associations droit-de-l'hommiste, ce sont des militants de l'extrême gauche, tels qu'il se sont mobilisés contre l'histoire, contre les intérêts de la France, de Mayotte", a-t-il accusé.
Ce message du syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche, a comme objet : "A Mayotte non plus, l’autorité judiciaire ne sera pas la caution de violations des droits humains". Le SM, pour qui cette opération aura "des conséquences dramatiques […] pour ce territoire", dit se faire le relais des magistrats du tribunal judiciaire de Mamoudzou qui déploreraient "l’absence d’information" au sujet de cette "opération d’envergure". "Les chefs de cour ont précisé ne pas détenir davantage d’informations que ce qui était diffusé dans les médias", écrit le bureau du syndicat de la magistrature.
La présidente du tribunal judiciaire siège en personne
Si le SM s’inquiète dans ce mail des conditions de travail des magistrats locaux – ce qui est effectivement dans ses prérogatives –, transparait en filigrane les prémices d’une consigne de conduite à tenir : "les collègues ne sauraient être la caution utile d’un gouvernement s’apprêtant à mener une opération qui, par son envergure et ses objectifs, amènera très certainement des violations massives des droits humains sans que l’autorité judiciaire puisse correctement exercer sa mission de protection". En clair et autrement dit, "magistrats de Mamoudzou, opposez-vous à l’opération Wuambushu".
Or, et c’est là que l’histoire prend une tournure idéologique et troublante, trois jours plus tard, 31 habitants de Koungou demandent devant la chambre des référés la suspension de l’arrêté du préfet de Mayotte visant à détruire leurs cases dans le bidonville surnommé "Talus II". A l’audience, c’est la présidente du tribunal judiciaire, Catherine Vannier, qui siège en personne, comme le précise un extrait des minutes du greffe qu’Europe 1 a consulté. Catherine Vannier, elle-même ancienne vice-présidente du fameux syndicat de la magistrature à la fin des années 1990, comme le rapportait le journal Libération le 15 août 1998. Elle s’interrogeait alors au nom du syndicat sur la pertinence d’un arrêt de la cour de Cassation concernant le droit des étrangers.
La cour d’appel va trancher
Originaire de Bourgogne, cette juge expérimentée a une solide expérience de l’outre-mer puisqu’elle est passée par la Polynésie française et l’île de la Réunion. Passionnée de plongée sous-marine, de randonnée et d’archéologie selon La Dépêche du Midi.
En février dernier, juste après avoir pris son poste, elle indiquait à nos confrères de France Télévisions que "la délinquance des mineurs [à Mayotte] n’était pas si importante que ça". Selon les autorités, au moins 3.000 mineurs seraient abandonnés à Mayotte, se livrant à une délinquance crapuleuse de subsistance. Ce sont aussi régulièrement des jeunes mineurs de 10 à 12 ans qui sont mis en cause dans les rixes entre bandes et les caillassages contre les forces de l’ordre et les habitants de l’île.
Catherine Vannier a-t-elle suivi le message du syndicat de la magistrature envoyé à ses adhérents quelques jours avant le début de l’opération Wuambushu ? Catherine Vannier est-elle toujours aujourd’hui encore adhérente du SM ? Un article de Thaiti Info de 2015 la présentait comme telle. De son côté, le SM a répondu à Europe 1 : "Il nous est impossible de communiquer le nom de nos adhérents, la liberté syndicale relevant de la vie privée et ne pouvant être divulguée que par la personne intéressée elle-même, conformément à la loi."
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Les avocats de l’Etat ont fait appel de cette décision de justice. Ce sera désormais à la cour d’appel de La Réunion de trancher. Juridiction que Catherine Vannier connaît bien puisqu’elle y a officié en 2018 en tant que vice-présidente. La décision n’est pas attendue avant plusieurs jours, voire quelques semaines, précise une source proche du dossier. En attendant, nul doute que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin aura le temps de ressasser cette tournure attribuée à François Mitterrand lors d’un conseil des ministres : "Méfiez-vous des juges, ils ont tué la monarchie, ils tueront la République."