Un pylône de 230 mètres de haut en flammes : c'est l'impressionnant spectacle qu'ont dû maitriser les pompiers, dont des spécialistes du Groupement d'intervention en milieu périlleux, lundi 11 janvier. Ils avaient été appelés dans la nuit pour intervenir sur l'incendie d'une antenne relais près du village des Cars, non loin de Limoges, en Haute-Vienne. Un incident loin d'être isolé. Selon les informations d'Europe 1, 70 antennes ont été vandalisées au cours de l'année 2020, un phénomène qui inquiète les opérateurs et les gestionnaires de sites, qui tentent de s'organiser avec les forces de l'ordres pour prévenir les attaques venues de groupes disparates.
Des attaques fréquentes et venues de groupes contestataires différents
Les dégradations d'antenne sont fréquentes : on recense en moyenne une attaque tous les cinq jours en France, avec un pic inédit observé en quelques semaines au printemps. Mais elles sont en même temps rares car il y a 50.000 antennes sur le territoire, rien que pour le réseau mobile, et 80.000 si on ajoute les sites dédiés uniquement à la diffusion de la radio et de la télévision. Dans l'imaginaire collectif, qui dit antenne, dit pylône de métal qui pointe vers le ciel. C'est le cas seulement d'une partie des sites, principalement en zone rurale. En ville, les antennes sont en réalité cachées dans des boitiers eux-mêmes placés sur les toits des immeubles.
REPORTAGE > On a visité une antenne 5G
"Ce sont principalement des sites isolés qui sont visés, en périphérie des grandes villes", assure Nicolas Guérin, président de la Fédération française des télécoms. "Les dégradations sont diverses : ça va des grilles fracturées à l'incendie complet du site en passant par un peu de matériel détruit avec des outils." Les profils de ceux qui attaquent les antennes sont variés. Ce sont des contestataires, de tous âges mais pas tous issus du même mouvement. "Nous sommes face à des mouvements violents disséminés sur l’ensemble du territoire. La menace est diffuse", s'inquiète Jean-Louis Mounier, directeur général de la BU TowerCo (les infrastructures) de TDF, le principal gestionnaire d'antennes en France.
Selon les éléments obtenus par Europe 1, il y a d’abord les anti-5G, qui détruisaient les antennes dès le printemps dernier, avant-même que le réseau soit déployé, parce qu’ils pensent que la 5G nuit à l’environnement, à la santé, aux animaux ou qu’elle contribue à propager le Covid. Il y a aussi des gilets jaunes radicaux et des activistes anarcho-autonomes, militants anti-réseau, anti-médias, contre une soi-disant surveillance généralisée. Certains revendiquent leur combat et diffusent même des conseils sur Internet sur la manière de détruire une antenne. Et puis, il y a ceux, à la marge, qui agissent par bêtise, par mimétisme ou sous l’effet de l’alcool.
Des réparations longues et complexes
Les conséquences de ces attaques sont nombreuses et très concrètes. En décembre, par exemple, un site a été incendiée à Marseille, privant ainsi 3,5 millions de personnes de radio et de télé pendant plusieurs jours. À Limoges, il y a 1,5 millions de personnes concernées et, cette fois, le réseau mobile est également affecté. Dans tous les cas, les effets se font sentir pendant plusieurs jours car les réparations d’antennes sont très complexes, particulièrement dans le cas de pylônes de dizaines de mètres de haut.
"Dans un premier temps, nos équipes rétablissent le service de façon dégradée : couverture partielle de la zone, débit dégradé pour la téléphonie mobile. Ensuite, elles mettent en place des systèmes permanents et définitifs", explique Jean-Louis Mounier, de TDF. Il faut quelques jours pour rétablir un signal partiel mais on parle de semaines, voire de mois avant un retour à la normale. "Il faut 18 à 24 mois pour construire une antenne. En cas de destruction totale de l’équipement, c’est le délai qui peut s'appliquer pour le rebâtir."
Une antenne neuve coûte entre 100 et 200.000 euros
Et tout cela a un coût : installer une antenne coûte entre 100 et 200.000 euros. Dans le cas de pylônes qui font parfois 100 ou 200 mètres de haut, si l’incendie détruit tout le site, il faut reconstruire en partant de zéro. Et même en cas de dégâts mineurs, on parle de dizaines de milliers d’euros de matériel à remplacer. "Au-delà du coût, ce qui est embêtant c'est que toutes les ressources que l'on affecte à ces réparations se font au détriment de l'amélioration de la qualité du réseau. Quand vous devez réparer un site, le personnel est détourné de la couverture des zones blanches", souligne Nicolas Guérin, président de la Fédération française des télécoms.
Problème supplémentaire pour les opérateurs : les antennes attaquées sont souvent des sites isolés, sans réserve de matériel sur place. "La première chose à faire, c’est d’acheminer le matériel nécessaire, les émetteurs, les câbles. C'est long", précise Jean-Luc Mounier. "Ensuite, il faut tout remettre aux normes, c’est un temps de consolidation qui prend aussi du temps."
La sécurité des antennes, un casse-tête pour les opérateurs
Les opérateurs sont très préoccupés par ces attaques et cultivent un le secret autour de l'emplacement de leurs antennes. Dans le climat de défiance actuel envers la 5G, ils ne prennent aucun risque car la sécurité des sites est déjà un casse-tête. "On a 50.000 sites en France, c'est impensable d'organiser des rondes", affirme Nicolas Guérin. Et quand une antenne est détruite, même si sa localisation est compromise, impossible de la reconstruire ailleurs. "On ne choisit pas les sites au hasard. Si une antenne a été placée à tel endroit, c’est parce que c’est là qu’elle permet de fournir une couverture optimale", ajoute Jean-Louis Mounier, de TDF. Il faut donc renforcer la sécurité des sites déjà existants.
Selon nos informations, une convention pour améliorer la coopération entre les opérateurs, les gestionnaires d’antennes et les services de police est en cours d’élaboration actuellement sous l’égide du ministère de l’Intérieur. Il s’agira essentiellement de mieux anticiper les attaques et d’améliorer la transmission d’informations pour les enquêtes. "Le but, c'est de permettre aux services de police d’intervenir plus efficacement. Les opérateurs leur fournissent des informations sur la localisation des antennes et, en retour, ils nous montrent les faiblesses de nos sites", précise Nicolas Guérin.
L'objectif est donc d'arriver à mieux repérer les attaques en amont. Car, a posteriori, ces attaques sont prises très au sérieux par les autorités. Dans le cas de l'incendie de l'antenne de Limoges-Les Cars, une brigade cynophile a arpenté le site détruit et ses alentours pendant deux jours. Et, souvent, justice est rendue : dans la moitié des enquêtes, il y a déjà eu des interpellations et plusieurs condamnations, jusqu’à quatre ans de prison ferme infligés l’été dernier par le tribunal de Lons-le-Saulnier.