"L'aboutissement du travail de la DGSI a permis de mettre en échec une action terroriste envisagée de longue date sur notre sol. C'est donc un nouvel attentat déjoué." Près d’un an après les attaques du 13-Novembre, les mots de Bernard Cazeneuve résonnent. Ce week-end, sept hommes ont été interpellés à Strasbourg et à Marseille et sont toujours en garde à vue. Si aucune cible n’était, semble-t-il, d’ores et déjà identifiée, une action imminente était plus que probable. Plusieurs armes ont été retrouvées à Strasbourg, notamment chez un animateur périscolaire.
" Ce sont des individus très préparés qui commettent peu d’erreurs "
Le réseau était parfaitement structuré. D’une étanchéité telle que les enquêteurs ont mis près de huit mois pour le démanteler. En février, les radars de la DGSI s’agitent. Plusieurs individus viennent de contracter différents prêts à la consommation en Ile-de-France. La méthode a déjà été utilisée par Amédy Coulibaly pour acheter les armes qui ont servi aux attentats de l’Hyper Cacher et de Charlie Hebdo. Les enquêteurs les identifient rapidement comme étant les "financiers", chargés de la logistique, notamment de se procurer de l’argent. Mais ils n’ont, semble-t-il, aucun rôle dans "l’opérationnel". "Ce réseau très structuré peut faire penser à une cellule dormante. Ce sont des individus très préparés qui commettent peu d’erreurs. D’où la difficulté de les arrêter", analyse Alain Juillet, président de l’Académie de l’intelligence économique et ancien directeur du renseignement à la DGSE.
Les enquêteurs décident donc ne pas procéder à un coup de filet immédiat pour tenter de remonter la piste du reste de l’équipe. Tous sont particulièrement prudents. Les deux cellules – "les financiers" et le commando qui doit passer à l’acte – sont pilotées depuis la Syrie, via des communications cryptées, mais n’entretiennent aucun lien entre elles. Selon les premiers éléments de l’enquête, ils ne se connaissaient pas. A l’approche de l’Euro, les enquêteurs décident finalement de procéder, par sécurité, à un premier coup de filet chez les financiers. Cinq personnes sont interpellées, deux sont mises en examen et placées en détention provisoire.
Pour attraper le reste du réseau, les enquêteurs montent un piège pour les appâter. Ils savent qu’avant d’être arrêtés, les suspects recherchaient des armes. Ils se voient donc proposer des kalachnikovs dissimulées dans une cache, surveillée 24H/24. Mais toujours d’une prudence extrême, ils ne s’y seraient pas rendus. Un faisceau d’indices a néanmoins permis le coup de filet de ce week-end. Parmi les personnes placées en garde à vue - cinq Français, un Marocain et un Afghan -seule une était connue par les services de renseignements après avoir été signalée par le Portugal. La composition de la cellule, si l’implication des gardés à vue se confirme, interpelle. "Le fait qu’ils viennent de plusieurs zones et qu’ils sont passés entre les radars alors qu’ils travaillent en groupe témoigne d’une préparation non négligeable", poursuit l’ancien directeur du renseignement.
" Ce type d’attaque est complémentaire "
Ce réseau particulièrement structuré contraste avec les derniers attentats et tentatives. A Saint-Etienne-du-Rouvray, les deux terroristes sont entrés en relation la semaine précédant l’attaque de l’église. Ils n’étaient armés que de couteaux de cuisine. Tout comme à Magnanville où un couple de policiers a été tué devant leur fils. A Nice, c’est un camion loué quelques jours auparavant qui a semé la mort sur la promenade des Anglais. Certes, aucun de ces terroristes n’était des "loups solitaires", tous étaient de cheville avec un réseau ou à minima des complices. Mais les plans semblaient construits à la va-vite, presque par opportunité. "On ne peut pas 'monter' tous les jours des attentats comme le Bataclan. Ce type d’attaque est totalement complémentaire, il maintient un climat de peur dans le pays", indique Alain Juillet.
" Ce n’est pas parce qu’une cellule est organisée que ses membres sont tous très qualifiés "
Même le 13 novembre, où les attaques étaient coordonnées, n’avait pas un tel niveau d’organisation. La majorité des membres du commando était connue des services de renseignement. Abaaoud était multi-casquette : à la fois organisateur et opérationnel. Et comment expliquer qu’il ait dormi deux jours dans un buisson ? Pourquoi aucune base arrière n’était prévue ? "Ce n’est pas parce qu’une cellule est organisée que ses membres sont tous très qualifiés, nuance Alain Juillet. De plus, on ne sait pas vraiment ce qu’il s’est passé puisque l’unique membre encore vivant refuse de parler."
Après les attentats, plusieurs cellules se seraient mises en sommeil pour ne pas intriguer les services de renseignements. Un an après seraient-elles sur le point de se réveiller ? "Ce n’est pas impossible, étant donné la difficulté que rencontre l’EI sur le terrain en ce moment. Le groupe terroriste peut vouloir frapper à l’extérieur pour rappeler sa force de frappe."