"Cette année, nous ne voulons pas mettre en avant notre islamité mais réfléchir à ce que nous pouvons apporter en tant que citoyens", avait déclaré, le 28 avril dernier, Amar Lasfar, président de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), lors d’une conférence de presse pour présenter la 33e Rencontre annuelle des musulmans de France (RAMF). L’événement se tient au Bourget depuis vendredi et durant quatre jours. Le thème cette année : "ensemble construisons l'avenir". Signe que l’UOIF, historiquement liée à la très vaste – et hétérogène – mouvance des Frères musulmans, tente de redorer son image.
Un mauvais mois de février. Amar Lasfar veut profiter de cet évènement pour apporter une "réponse à ceux qui veulent la division, la ségrégation". "Ici au Bourget, les gens viennent crier haut et fort qu'ils sont d'abord des citoyens, et des musulmans ensuite", insiste le dirigeant de l’UOIF, dont l’organisation n’est pas spécialement en odeur de sainteté ces derniers mois.
"Il faut combattre le discours des Frères musulmans dans notre pays", avait en effet déclaré Manuel Valls en février dernier sur Europe 1. Et beaucoup d’observateurs y avaient vu là un "tacle indirect" à l’UOIF, comme l’écrit ici Saphir News, par exemple. Quelques jours plus tôt, le lycée Averroès, premier établissement privé musulman sous contrat avec l’État, qui dépend de l’UOIF, avait été accusé par un ancien professeur de diffuser "une idéologie islamiste". Souvent jugée peu regardante envers les prédicateurs qu'elle invite, l'UOIF avait également été contrainte, en février, de déprogrammer à Lille, sous la pression du ministère de l'Intérieur, trois orateurs dénoncés comme "prêcheurs de haine" antisémite ou homophobe.
Une 33e conférence "light". Pour cette 33e Rencontre annuelle des musulmans de France (RAMF), la prudence semble donc de mise. Les intervenants du monde arabe seront absents. Le très controversé Égyptien Omar Abdelkafi et le Soudanais Issam al-Bachir, dont l'invitation commençait à faire l'objet d'une polémique, ne seront finalement pas présents. "Malheureusement l'un est souffrant, l'autre a dû annuler sa venue", a toutefois assuré Amar Lasfar, réfutant toute pression extérieure.
Les débats mettront en présence des sensibilités très diverses, du réformateur et libéral Ghaleb Bencheikh à l'islamologue controversé Tariq Ramadan (dont la conférence, samedi, a d’ailleurs été perturbée par des Femen). Ce dernier, qui réunit chaque année une forte audience lors de ses conférences, devait s'exprimer sur "le voile, dessous d'une obsession française". Le préfet délégué à l’Egalité des chances, Didier Leschi, vient pour sa part parler de "la laïcité, socle de la paix et de la cohésion sociale". Dans son opération séduction, l'UOIF a également donné un temps de parole à des voix très critiques sur l'influence "frériste", comme le politologue Haoues Seniguer.
L’UOIF fait-elle partie des "Frères musulmans" ? "Les Frères musulmans, c'est un parti politique. (...) Moi, ma vocation, c'est le culte", a martelé Amar Lasfar samedi. "Je le dis à mes coreligionnaires : un citoyen doit faire de la politique, mais pas au nom de la religion", ajoute-t-il. "Au moment de la fondation de l’UOIF, les Frères musulmans étaient le courant réformiste de l’islam par excellence, et nous avions beaucoup de contacts avec eux", a-t-il expliqué. "Nous ne renions pas cet héritage mais nous ne limitons pas à cela, même s’il nous arrive d’inviter des personnes qui sont encore liées à ce courant", avait déjà détaillé le patron de l’UOIF en avril.
La plupart des spécialistes de l’Islam s’accordent toutefois à dire que les liens restent très étroits entre l’UOIF et la vaste mouvance des "Frères". Celle-ci dépasse cependant largement le parti égyptien, radical, d’où elle tire son origine. Si elle porte une vision politique de l'Islam, elle peut accueillir une pluralité de points de vue.
Un souk et la foire. Outre les conférences, on trouve de tout dans le "souk" et la foire de la RAMF : des stands de chocolat, de voiles islamiques, d’ONG ou de renseignements sur la finance islamique. A distance de ces débats sur l’UOIF et les Frères musulmans, des milliers de visiteurs ont d’ailleurs commencé à se presser dès vendredi dans les allées du Bourget. "C'est une tradition, on est des musulmans, on aime bien se réunir", explique à l‘AFP un jeune homme à la barbe broussailleuse, qui se dit surtout désireux de "donner une bonne image" de l'islam. Rhizlane, venue de Seine-Saint-Denis avec une autre jeune femme, loue elle aussi "l'ambiance" des lieux: "On s'amuse bien." Quelques stands d’associations salafistes font également leur apparition depuis quelques années. Mais cela fait autant grincer des dents l’Uoif que ses détracteurs.