Le Conseil français du culte musulman (CFCM) est le principal interlocuteur de l'Etat sur les questions d'organisation du culte sur le territoire. En tant que tel, il a été auditionné lundi par la commission spéciale sur la loi sur les séparatismes à l'Assemblée nationale, en prévision des débats qui commenceront dans l'hémicycle la semaine prochaine. Mais un problème de taille se pose : cette loi, pour être efficace, suppose d'avoir un interlocuteur solide et représentatif de la communauté musulmane dans son ensemble. Une définition qui ne correspond pas au CFCM, traversé par les tensions idéologiques et les dissensions.
En annonçant en octobre travailler de concert avec le CFCM sur la loi sur les séparatismes, le chef de l'Etat était pourtant persuadé qu'il réussirait là où ses prédécesseur avait échoué : l'obtention d'un consensus de la communauté musulmane. Mais il s’est rapidement heurté au rejet de plusieurs organisations sur des sujets périphériques au projet de loi, comme la création d’un conseil national de l’imamat ou le projet de transformation des associations musulmanes en loi 1905, pour rendre transparent le financement des mosquées.
Des échanges "difficiles" entre le CFCM et la place Beauvau
La semaine dernière, la situation s’est encore détériorée lorsque le président du CFCM a annulé deux fois sa participation à des auditions parlementaires, officiellement pour des raisons de santé. Ce qui ne l’a pas empêché de se rendre aux vœux d’Emmanuel Macron jeudi dernier... Ce week-end, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin a essayé de recoller les morceaux en recevant trois représentants du CFCM. Il a mené ces trois entrevues séparément, pour que la parole soit libre. Des échanges qui ont été jugés "difficiles" place Beauvau.
Car le CFCM est avant tout traversé par des tensions internes. Elles avaient éclaté au grand jour dans le cadre du projet de création d'un Conseil national des imams de France, qu'Emmanuel Macron avait confié au CFCM. Fin décembre, le recteur de la grande Mosquée de Paris (une des neuf fédérations membres du CFCM) avait annoncé se retirer du projet, en dénonçant l'influence de "la composante islamiste" au sein de l'organisation.
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Peu de musulmans de France se reconnaissent dans le CFCM, sous influence étrangère. L'organisation est en effet tenue à la fois par les Marocains, les Algériens et les Turcs. Sur le terrain, les imams ne supportent plus toutes ces guéguerres, à l’image de Mohamed Bajrafil, qui a décidé de d’abandonner son imamat de la mosquée d’Ivry, fonction qu’il exerce depuis 21 ans. "Aucune religion n’est aussi mal structurée que l’Islam de France. Donc que l’Etat veuille que les choses changent c’est tout à son honneur. C’est même son devoir. Mais la manière dont il s’y est pris, en construisant un Islam de France sur des bases ethno-religieuses, ça n’a pas de sens."
L'adhésion des organisations primordiale pour une loi efficace
Tout cela ne veut pas dire que le projet de loi sur les séparatismes est menacé. Sauf coup de théâtre, le texte devrait être adopté. Le vrai problème, ce sera l’adhésion à la loi des organisations représentatives de l’Islam. Si elles ne jouent pas le jeu à fond, la lutte contre l’islamisme restera au niveau du débat intellectuel.
Pour certains, la solution serait de repartir de la base. "Chaque département aura des représentant au niveau national, comme des grands électeurs. Ils se retrouveront au niveau national pour élire un bureau, un représentant national ou un grand imam. A l'image, en quelque sorte, de ce que font nos amis catholiques avec le conseil des évêques de France", recommande Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne.
Le problème, c’est que ce processus prendrait trop de temps. Et Emmanuel Macron en manque, comme Nicolas Sarkozy, quand il avait créé le CFCM, en 2003. En 17 ans, personne n’a vraiment pris le temps nécessaire pour mettre sur pied une organisation légitime et solide.