Elle ne s’était exprimée qu’une seule fois depuis sa sortie de prison, le 28 décembre dernier. "Je ne suis pas du tout coupable", avait déclaré Jacqueline Sauvage, le 6 janvier, sur France 2, quelques jours après avoir été graciée par François Hollande. Trois mois plus tard et après une période de silence médiatique absolu, elle revient plus longuement sur son geste, dans un livre prévu en librairie pour le 2 mars, et dont le Journal du dimanche publie les bonnes feuilles. Elle y raconte son séjour en prison, la douleur d’avoir perdu son fils, et le jour où elle a abattu son mari, violent et incestueux, de trois coups de fusil, le 10 septembre 2012, sur la terrasse de leur maison près de Montargis, dans le Loiret.
"Ce jour-là, il avait juré de tous nous éliminer : ‘Je vais te crever ! Je vais crever tes gosses !’ Ce jour-là, il m’avait frappée. Un poing dans la lèvre. Ce jour-là, il m’avait coursée comme un animal apeuré dans la maison. Ce n’était pourtant pas la première fois, ni la centième. […] Ce fut sans doute la fois de trop. Pourquoi ? Comment ? Je ne sais pas. […] Ce jour-là, ce fut différent. Une lueur encore inconnue dans ses yeux, une intonation particulière dans sa voix, dans ses cris. J’ai vu mes enfants morts", raconte Jacqueline Sauvage dans les extraits publiés dimanche par le JDD. Et de poursuivre, dans un récit glaçant : "J’ai passé la langue sur ma lèvre abîmée par lui, le goût du sang dans ma bouche. Je ne voyais plus rien. J’avais le fusil entre mes mains. J’ai fermé les yeux et tiré trois fois. Trois coups de feu. Et tout fut écarlate".
" J’aurais dû trouver le moyen de quitter mon sale bonhomme "
"Qu’avais-je fait ?", se demande ensuite à deux reprises Jacqueline Sauvage, condamnée à dix ans de détention pour ce meurtre avant d’être graciée – mais pas amnistiée – par le chef de l’Etat. La sexagénaire reconnait, au détour d’un paragraphe, sa part de responsabilité. "Je le sais, tout est de ma faute : même si j’étais terrorisée et démunie, j’aurais dû trouver le moyen de quitter mon sale bonhomme, ou du moins de porter plainte et de l’expédier en détention". Mais elle confie également avoir ressenti une forme de soulagement, après avoir accompli son geste. "Aussi terrible que cela sonne, Norbert parti, les miens sont maintenant en sécurité", raconte-t-elle avoir pensé dans sa cellule de prison.
Durant 47 ans, Norbert Marot, le mari, avait battu son épouse, maltraité ses enfants et même violé ses filles. Durant les procès de Jacqueline Sauvage, les trois filles du couple n’ont cessé de témoigner contre leur père, évoquant leur "soulagement". "Maman n'avait pas le choix", avait expliqué l'une d'entre elles sur Europe 1. Dans son livre, Jacqueline Sauvage décrit la situation dans laquelle son mari avait plongé sa famille. " Nous n’avions plus d’amis. Personne, dans notre village, ne nous invitait chez eux. Pas de soirée entre amis, pas de déjeuner de famille, pas de barbecue dans le jardin d’un voisin. Dans cette commune du Loiret où nous nous sommes installés en 1974, pas un seul du millier d’habitants n’appréciait le routier Marot. Nous étions des parias".
" Mon Dieu ! Comment ai-je pu ne rien dire ? "
Mais c’est sur la douleur d’avoir perdu son fils que la sexagénaire s’attarde le plus au fil des extraits publiés par le JDD. L’avant-veille du meurtre de son père, le jeune homme, également victime des violences de Norbert Marot, s’est suicidé. Sa mère dit ne l’avoir appris qu’une fois placée en garde-à-vue, deux jours plus tard. "Mon Dieu ! Comment ai-je pu ne rien dire ? Comment ai-je pu […], en voyant mon fils ainsi abîmé, ne pas aller voir la police ? Comment la peur a-t-elle pu me paralyser à ce point ?", s’interroge Jacqueline Sauvage. "Depuis que l’on m’a annoncé la mort de Pascal, plus rien n’a d’importance, plus rien ne compte. Je ne suis plus. J’aimerais disparaître, m’enfoncer dans le sol pour ne plus jamais ressortir. Ne plus penser, ne plus voir, ne plus pleurer, ne plus sentir cette douleur insoutenable dans mes tripes", renchérit-elle.
Selon sa fille, Jacqueline Sauvage a mis dans ce livre tout ce qu’elle n’a pas pu dire à la justice, un livre qui l’a beaucoup aidée, "comme un début de thérapie". Son entourage la décrit en effet comme étant "toujours très secouée", fragilisée par ces cinq dernières années.