"On va là où j'ai habité quand j'étais petite", annonce Liliane Rovère, qui dit se rappeler exactement de cet appartement de sept pièces situé boulevard de Strasbourg, dans le 10e arrondissement de Paris. Dimanche, l'actrice est partie En Balade avec Pascale Clark dans les rues de son enfance, qu'elle a dû quitter en 1940 avec sa famille, pour se réfugier en zone libre.
"J'ai traversé la ligne de démarcation, cachée dans une petite carriole"
Cette année-là, Liliane Rovère, née Cukier, était une petite fille, "juive de papa et de maman". Des parents confectionneurs arrivés de Pologne en 1926. "Moi je suis née en 1933, le jour où Hitler a été intronisé chancelier du Reich parce qu'il avait gagné démocratiquement les élections", précise-t-elle, insistant : "On peut avoir un Hitler avec des élections démocratiques".
Durant son enfance, la jeune Liliane entend parler yiddish, un mélange d'hébreu, d'allemand, d'araméen et de langues slaves qu'elle dit essayer de parler encore aujourd'hui. Mais ce dont elle se rappelle en revenant sur le boulevard de Strasbourg, c'est ce moment où il a fallu fuir. "Je pense que j'avais sept ans", se remémore Liliane Rovère. "J'ai traversé la ligne de démarcation à Vierzon, cachée dans une petite carriole traînée par un jeune cycliste qui risquait sa vie en me faisant passer", poursuit-elle. "J'étais cachée sous une bâche et, bêtement, j'avais envie de rire, c'était nerveux. Heureusement que je n'ai pas ri parce que je pense que le jeune homme y aurait perdu la vie, et moi avec".
Cachée chez les religieuses, sous un faux nom
Près de huit décennies plus tard, l'actrice se souvient avoir d'abord atterri à Vichy. "Mes parents avaient emmené des économies et on ne vivait par trop mal, mais ça s'est déglingué très vite", raconte-t-elle. La famille se disperse et la jeune Liliane est cachée chez les Sœurs à Saint-Yrieix-la-Perche. "J'étais cachée chez les Dominicaines, dans un bâtiment toute seule, puis j'ai eu un faux nom", dit-elle. Grâce à des faux papiers faits par un un hommes qui "a bien voulu le faire à ses risques et périls", Liliane Cukier devient Liliane Aubert. On est en 1944, et l'enfant ne s'habitue pas à cette identité. "Quand on m'appelait Liliane Aubert, je ne répondais pas".
Est-ce que cette période a changé son regard sur la vie ? Pas du tout, répond Liliane Rovère. "J'étais une petite fille pas très soucieuse, je ne me rendais pas bien compte", analyse-t-elle. Pourtant, un épisode l'a particulièrement marquée. Ce jour de 1943 où elle a pris la mesure du danger. "Des SS ont fait une rafle dans toute la ville, il y avait un barrage en haut et en bas de la rue Diderot", raconte Liliane Rovère. "Mon frère et moi, on est partis en essayant de prendre la tangente en haut de la rue, mais un Allemand a appelé mon frère et lui a fait signe de venir", poursuit-elle. Son frère obéit, demandant à la petite Liliane de partir. Au lieu de cela, celle-ci reste là, à regarder. "Il a été contrôlé, un Allemand a dit 'Falsche Papiere', mais un autre a dit que les papiers étaient bons, et a libéré mon frère. Ça s'est joué à ça."