Une "grande victoire" pour la biodiversité, un coup de massue pour les betteraviers : se pliant à une décision de la justice européenne, la France a annoncé lundi renoncer à autoriser par dérogation les néonicotinoïdes pour protéger les semences de betteraves sucrières qui doivent être plantées en mars. "Je n'ai aucune intention de balader les agriculteurs et en particulier ceux qui sont inquiets, car c'est dans 4 à 6 semaines qu'ils vont prendre la décision d'implantation des semences", a déclaré le ministre de l'Agriculture lors d'un point presse à Paris.
Pas de troisième année de dérogation
Le gouvernement ne proposera donc pas une "troisième année de dérogation sur l'enrobage des semences de betteraves, c'est terminé pour cet élément-là, la décision de la Cour de justice (européenne) est suffisamment puissante pour ne pas instabiliser encore plus le système", a souligné Marc Fesneau. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a estimé jeudi qu'aucune dérogation concernant les semences traitées aux néonicotinoïdes n'était justifiée, y compris dans les circonstances exceptionnelles invoquées pour protéger les betteraves sucrières.
Les néonicotinoïdes, insecticides qui s'attaquent au système nerveux des insectes, sont mis en cause dans le déclin massif des colonies d'abeilles. Plusieurs substances sont interdites dans l'UE depuis 2018, mais plusieurs pays ont accordé des dérogations pour préserver les rendements sucriers, ces insecticides permettant de lutter contre un puceron vecteur de la jaunisse de la betterave.
La France s'apprêtait à autoriser une nouvelle fois leur utilisation de manière dérogatoire pour la campagne 2023, après en avoir fait de même en 2021 et 2022. Un projet d'arrêté autorisant cette dérogation était en consultation publique, en attendant l'avis du conseil de surveillance des néonicotinoïdes.
"Une grande victoire pour la biodiversité" pour la LPO
La Ligue de protection des oiseaux (LPO) a salué lundi soir une "grande victoire pour la biodiversité" avec cette décision qui "témoigne que la protection de la biodiversité, le respect du droit européen et la garantie du revenu des agriculteurs peuvent être conciliés". "Néonicotinoïdes : point final !" a claironné l'association Agir pour l'environnement, qui avait par deux fois porté ce combat contre les néonicotinoïdes devant le Conseil d'Etat, réclamant en vain leur interdiction totale. Les producteurs de betteraves sont, eux, "effondrés".
"Il y aura des baisses de surface, des planteurs qui vont abandonner. Si c'est une année à faible pression (de jaunisse), on saura gérer, mais si c'est comme en 2020 où on a perdu un tiers de la récolte, ce sera catastrophique", a déclaré à l'AFP Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betterave (CGB).
Une décision qui peut "mettre en danger toute la filière"
Marc Fesneau, qui s'était lui-même dit favorable à une "dernière année" de dérogation pour permettre à la filière de développer une solution alternative à ces substances, a tenté de rassurer producteurs et industriels du sucre, reçus lundi après-midi. "J'ai convenu avec les représentants de la filière qu'on mettrait en place un dispositif qui permettrait de couvrir le risque de pertes qui serait liée à la jaunisse, le temps qu'on trouve les alternatives dont on a besoin", a-t-il précisé. Le ministre veut également "faire activer au niveau européen les clauses de sauvegarde pour qu'il n'y ait pas de distorsion de concurrence", alors que la France est le premier producteur européen de sucre.
En cas de jaunisse, la CGB réclame une indemnisation totale, sans franchise, sous peine de "mettre en danger toute la filière", des 24.000 producteurs jusqu'aux usines qui transforment les racines en sucre, en alcool ou en carburant bioéthanol. Franck Sander redoute la concurrence européenne et notamment celle de l'Allemagne, qui "a renoncé aux semences enrobées mais autorisé un produit néonicotinoïde en pulvérisation". "Nous ne sommes pas à armes égales face à l'Allemagne. Il faut nous aider", dit-il, expliquant que les produits à pulvériser actuellement autorisés en France sont plus respectueux des insectes, mais "moins efficaces".