Laurence, aujourd'hui âgée de 57 ans, a brutalement perdu son mari lorsqu'elle avait 35 ans. Elle occupait alors un poste haut placé dans une grande entreprise parisienne de BTP. Comme elle le confie à Olivier Delacroix sur Europe 1, la douleur du deuil liée à la pression inhérente à sa fonction l'ont plongée dans la dépendance à l'alcool.
"A 35 ans, je n'étais pas encore dans la dépendance. Je n'étais pas encore droguée à l'alcool, par contre j'étais bien dans l'excès. Je me souviens de soirées festives avec mon mari bien trop arrosées d'alcool. Il est vrai qu'à 35 ans, cette douleur, ce deuil atroce, va me plonger dans la dépendance. Au lieu de boire à deux, je vais boire toute seule mais pour deux. Ce sont ensuite les responsabilités professionnelles, le stress, la course à la performance et l'environnement qui étaient propices à l'alcoolisme - j'avais des repas d'affaires, des pots d'entreprise, etc. - qui vont me plonger dans la drogue alcool.
[Je ne prenais pas conscience de cela] parce que je n'étais pas toute seule. Je faisais un peu par mimétisme, comme les autres. Sauf que très vite, j'ai bu beaucoup plus que les autres. Je n'en avais pas conscience. Par contre, quand on a commencé à jaser sur mon comportement, parce qu'un jour ou l'autre, de toutes les façons, on vous montrera du doigt, là j'ai tout doucement pris conscience de mon problème d'alcoolisme. Ce qui ne m'a pas empêchée de continuer. La seule différence, c'est que j'ai continué toute seule, chez moi en cachette.
>> De 15h à 16h, partagez vos expériences de vie avec Olivier Delacroix sur Europe 1. Retrouvez le replay de l'émission ici
"J'étais seule. Mes amis n'étaient pas de vrais amis"
Le 24 janvier 2009, il y a quasiment dix ans, mon corps va lâcher [lors d'une cérémonie de vœux et je vais m'écrouler]. C'est le pas de côté de trop. On ne l'a pas encore dit, mais finalement c'est une maladie. Et c'est à ce moment-là que cette maladie est mise en lumière. Après, il y a eu une succession de petits événements qui ont fait que j'ai enfin rencontré le bon médecin.
J'étais seule. Mes amis n'étaient pas de vrais amis. C'étaient plutôt de faux amis, qui buvaient certes un peu moins que moi, mais le fait que quelqu'un boive plus qu'eux, ça les rassurait. Quant à mes collègues de travail, là, c'est l'hypocrisie la plus complète. C'était en 2009, c'était la crise économique, il fallait se séparer des collaborateurs. Je pense qu'on a attendu cette faille. On s'est dit on va s'en servir, on va licencier cette dame.
"J'aurais pu mourir"
C'était il y a dix ans. Je pense qu'on est en train d'évoluer et je pense que maintenant, les entreprises ont une autre attitude parce qu'elles peuvent être responsables pénalement de ce qui m'est arrivé. J'aurais pu mourir. Ils m'ont laissée repartir. Je m'effondre ivre morte à la cérémonie des vœux mais quelques heures après, j'ai repris mon véhicule de fonction, j'ai fait 40 kilomètres sur le périphérique de Paris mais j'aurais pu commettre un accident.
[J'avais encore plus honte de cet alcoolisme du fait d'être une femme] parce que c'est comme ça, c'est la société. C'est le regard de la société qui vous projette une image négative. Une femme qui boit, ce n'est pas beau à regarder mais c'est aussi souvent assimilé à une femme de mauvaises mœurs, une femme facile. Ça, ça alimentait encore plus ma consommation d'alcool, que je faisais finalement en cachette. C'est vraiment cette image qui est la première chose à retenir de différence par rapport à l'homme. Quand vous devenez cadre supérieur, vous êtes payé à montrer le bon exemple. Donc quelle catastrophe pour moi d'être devenue une femme alcoolique, pochtronne.
"C'est dur d'arrêter de boire de l'alcool"
J'ai été licenciée mais tout de suite, j'ai eu du temps pour aller rencontrer un bon médecin. Je lui ai raconté mon histoire qui l'a affolé et là, il a eu les mots que je n'avais jamais entendus. Il m'a dit : 'Madame, ce n'est pas de votre faute. Vous êtes tout simplement malade à l'alcool. Votre cas n'est pas désespéré, je peux vous aider.' Après, ça a été très vite. Je me suis laissée faire, j'ai fait confiance à ce médecin. Il m'a pris en main. Ça a été un sevrage ambulatoire, qui n'est pas le plus dur finalement. Ce qui est génial c'est que, très vite, quand vous arrêtez de boire, votre corps va mieux, vous dormez mieux, votre visage reprend un aspect normal, etc.
Après, c'est peut-être le travail le plus dur à faire, j'ai dû faire un travail d'introspection, une grosse psychothérapie avec un psychiatre, pour répondre à la question : 'Pourquoi je bois ?' C'est souvent une ou plusieurs causes. On en a cité une, le deuil. Mais il y en avait une autre beaucoup plus intime, que j'avais enfouie dans mon inconscient et que j'ai travaillée avec ce psychiatre. Il ne faut pas avoir peur de faire ce travail. C'est douloureux, mais ça vaut le coup parce que quelques années plus tard, je suis devenue un femme complètement heureuse et qui fait de la prévention maintenant en matière d'alcoolisme. Par contre, il faut faire beaucoup plus pour éviter de tomber là-dedans car c'est dur d'arrêter de boire de l'alcool.
Un jeu pour "apprendre à déceler les signes de l'alcoolisme chez la femme"
[J'ai créé un jeu en ligne qui s'appelle 'Le secret de Laurence'.] C'est le Fonds Actions Addictions du professeur Michel Reynaud, qui est un addictologue de renom, qui m'a proposé un jour d'utiliser mon histoire pour, de manière ludique, apprendre aux personnes à reconnaître les signes de l'alcoolisme féminin. On a reconstitué grandeur nature mon appartement à Paris et on l'a mis également en ligne de telle manière que vous pouvez virtuellement rentrer dans cet appartement. Vous allez essayer de découvrir mon secret, mais maintenant tout le monde le connaît puisqu'on l'a dévoilé. Mais vous allez surtout apprendre à déceler les signes de l'alcoolisme chez la femme. Par exemple, il y a une tâche rouge sur la moquette. Tout le monde pense que c'est du sang mais pas du tout. C'est du vin. Après, vous allez trouver une bouteille de parfum sur ma table de nuit à côté du lit. C'est simplement qu'il m'est arrivé de boire de l'alcool à 90 degrés parce que je n'avais plus de vin. C'est une manière ludique d'approcher une maladie qui reste très taboue."
>>Retrouvez l'intégralité du témoignage de Laurence ici