Invité de l'émission En balade avec sur Europe 1 dimanche, l'avocat Éric Dupond-Moretti a dénoncé des dérives du système judiciaire permises selon lui pour des raisons sanitaires, pendant la crise du Covid-19. Pour le pénaliste, "on s'est servi du Covid-19 pour s'autoriser des choses qui sont interdites et illégales", comme l'allongement de la durée de détention et des condamnations sans procès au préalable.
"On n'avait pas connu une telle situation depuis 1793"
"Pour faciliter la tâche des juges, la Chancellerie [le ministère de la Justice, ndlr] a permis par exemple de maintenir en détention des hommes qui n'ont pas été présentés devant les juges", pointe-il d'abord. Une réalité très inquiétante selon Éric Dupond-Moretti, qui estime que "depuis 1793 et la loi dite des suspects, on n'avait pas connu un telle situation en France".
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L'avocat prend pour exemple le cas d'un homme condamné à Marseille. "Le tribunal correctionnel s'est autorisé à condamné à trois ans de prison un homme qui n'a pas été présenté [devant un juge] à raison de la pandémie, qui n'a pas été vu par visioconférence et qui n'a pas été représenté par un avocat", assure-t-il.
Pour Éric Dupond-Moretti, ce phénomène témoigne du manque d'écoute de certains juges vis-à-vis des autres professionnels du monde judiciaire. "Je constate, depuis quelques années, l'émergence d'une nouvelle race de juges qui sont les gardiens autoproclamés de la morale publique", dénonce-t-il. "Ceux-là n'aiment pas le contradictoire et donc les avocats".
Besoin d'"oxygène" dans les prisons
Pourtant, le coronavirus a entraîné une chute "historique" de la population carcérale avec près de 13.000 détenus en moins en deux mois. Un déclin qui s'apparente à une bonne nouvelle pour Éric Dupond-Moretti. "On a tellement de monde en taule dans des conditions tellement inhumaines et dégradantes. Il fallait faire un peu d'oxygène", estime-t-il, en rappelant que "le confinement des détenus, c'est le confinement dans le confinement".
Mais d'après l'avocat, les conditions de détention dans les prisons françaises restent, elles, insatisfaisantes. Pendant l'épidémie, les détenus "ont notamment été privés de parloir", affirme-t-il, car "il y avait aussi un risque que le virus sorte de la prison pour contaminer les membres de la famille".
La loi d'amnistie comme remède
Avec encore plus de vigueur pendant cette crise, Éric Dupond-Moretti plaide enfin pour une loi d'amnistie. Et il n'est pas le seul car les appels pour cette loi, option déjà rejetée par la ministre, se multiplient. "J'aurais souhaité que le président de la République renoue avec la tradition régalienne de la grâce présidentielle ou de la loi d'amnistie", demande l'avocat. "Cette loi d'amnistie, les détenus l'attendaient" et, selon le pénaliste, elle permettrait de "désengorger les prisons".
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Il propose ainsi de réduire la population carcérale en privilégiant les détenus "en fin de peine" qui n'ont "pas commis d'infractions graves". Car la situation dans les prisons est préoccupante selon Éric Dupond-Moretti. "On est dans des taux d'occupation [des prisons] qui sont indignes de la France, pays des droits de l'homme", s'insurge-t-il avant de glisser qu'"en matière de détention, on est juste mieux placé que la Moldavie".