Votre travail vous obsède, vous éprouvez de la lassitude, vous traversez des crises de larmes ou faites des insomnies. Vous êtes peut-être atteint de brown-out, un nouveau mot pour caractériser un type de souffrance au travail.
C’est quoi au juste le brown-out ? Dans son livre Le brown-out : quand le travail n’a plus aucun sens – qui vient de paraître aux Éditions Josette Lyon – le docteur François Baumann donne une définition de ce nouveau phénomène : "directement issu du burn-out – qui correspond à l’épuisement professionnel – le brown-out se traduit littéralement par une baisse de courant". Cette chute de tension "exprime la douleur et le malaise ressentis suite à la perte de sens de ses objectifs de travail et à l’incompréhension complète de son rôle dans la structure de l’entreprise".
En 2013, l’anthropologue américain David Graeber dénonçait déjà le brown-out (sans le nommer) dans une tribune intitulée Du phénomène des jobs à la con. Il expliquait qu’avec l’essor des nouvelles technologies, les métiers sans intérêt allaient se multiplier. "Au lieu de réduire les heures de travail pour que les gens aient plus de temps libre, on a préféré inventer des métiers qui ne servent à rien", assurait-il à l’époque. Inévitablement, le salarié déprimé par l’absurdité des tâches qu’il a à accomplir finit par se désintéresser de son travail avant de craquer et de tomber, parfois, en dépression.
" Les mots ne venaient plus ou ils venaient dans n’importe quel sens. "
"Je n’arrivais plus à parler". Quand on réalise que le métier ne correspond pas à ce qu'on imaginait, les premiers symptômes de lassitude ne tardent pas à arriver. Christian travaillait dans un syndic de copropriété. Il adorait le secteur de l'immobilier mais il a fini par craquer à cause des assemblées générales. "Je n’arrivais plus à parler", confie-t-il à Europe 1. "Les mots ne venaient plus ou ils venaient dans n’importe quel sens. J’étais dans un état second. Ce n’est pas tellement les problèmes techniques mais plutôt les problèmes humains, les problèmes d’ego, les problèmes de jalousie qui surgissent à chaque assemblée. Vous ne savez plus où est le sens".
Martine, elle, était assistante de direction dans une grande entreprise. Du jour au lendemain, avec un changement de direction, Martine ne comprenait plus bien ce qu’elle devait faire. "En quelques mois, j’ai perdu tout intérêt dans mon travail", nous raconte-t-elle. "Je consultais mes mails en permanence mais sans comprendre vraiment ce que je faisais. Et ma sociabilité a empiré de jour en jour dans mon entreprise. Là non plus, je ne comprenais pas pourquoi". Après plusieurs arrêts maladie longue durée, elle a fini par démissionner pour reprendre les choses en main.
"Il y a des gens qui se précipitent dans un métier soit parce qu’ils n’ont pas le choix, soit parce qu’ils ont cru que ça les intéresserait", explique l’auteur de Le brown-out : quand le travail n’a plus aucun sens. "Et en réalité, ils se sont trompés. Ça peut être vrai pour certains enseignants, déçus parce que l’attitude des élèves ne leur convient pas. Le vide et l’absurdité de ce qu’ils font s’étalent devant eux. Et la question qui revient avec insistance : 'Qu’est-ce que je fais là ?'"
Quels sont les signes du brown-out ? Cette perte de sens au travail peut mettre un peu de temps à se traduire dans les faits. Contrairement au burn-out où le salarié va tomber en épuisement d’un jour à l’autre, l’employé victime de brown-out reste fonctionnel et peut encore accomplir des tâches. Néanmoins, certains symptômes peuvent se remarquer.
Si vous travaillez de plus en plus mais sans aucun intérêt, si vous avez le sentiment d’être inutile dans votre job, si vous ne savez plus vraiment quelle direction est en train de prendre votre carrière, si vous traînez les pieds pour aller aux réunions, si vous trouvez de plus en plus facilement des excuses pour ne pas aller au travail, si vous êtes fatigué ou même si vous perdez votre sens de l’humour, vous êtes probablement victime de brown-out.
Comment en sortir ? Une fois le diagnostic posé, que faire pour tenter d’inverser cette perte de sens ? "Quand on ne dort plus ou plus que très peu, quand on pleure tout le temps, quand on est obsédé par cette idée de perte de sens, il faut absolument consulter un médecin", affirme le docteur François Baumann. "On arrête d’abord les gens de travailler, dans un premier temps. C’est vital". Après, le travail peut être long, voire très long. "Un an, parfois plus", assure le médecin.
Le phénomène est extrêmement difficile à quantifier. Mais selon une étude du Cabinet Deloitte, plus d’un salarié sur deux (55%) juge que le sens au travail s’est dégradé. Les cas de brown-out pourraient donc se multiplier dans les années à venir.