Qualifié de "super logiciel", mis en lumière par les récents rebondissements de l'affaire Grégory, AnaCrim est rapidement devenu une aide fondamentale pour les enquêteurs qui travaillent sur des affaires de disparitions ou d’homicides. Avec la double mise en examen de Nordahl Lelandais, plusieurs dossiers de disparitions non élucidées resurgissent. Notamment ceux de deux adolescents, disparus en 2015 et 2016 dans le Gard. AnaCrim pourrait potentiellement parler.
Lucas Tronche et Antoine Zoia, deux disparitions non résolues
Principal suspect de l'enlèvement et du meurtre de Maëlys, dont le corps n'a pas été retrouvé, Nordahl Lelandais, 34 ans, a été mis en examen pour assassinat dans une autre enquête, celle sur la disparition inexpliquée d'un militaire, Arthur Noyer, caporal au 13ème bataillon de chasseurs alpins (BCA) de Chambéry, survenue en avril à Chambéry. Depuis l'étau se resserre autour de Nordahl Lelandais, et plusieurs affaires non élucidées refont surface ces dernières semaines.
La magistrate chargée de l'instruction du dossier de la disparition de Lucas Tronche à Bagnols-sur-Cèze, dans le Gard, en 2015, a récemment lancé des investigations pour étudier une éventuelle responsabilité de Nordahl Lelandais dans cette affaire. Il semblerait que le suspect connaisse bien le secteur de Bagnols-sur-Cèze, là où Lucas Tronche s'est volatilisé le 18 mars 2015 alors qu'il se rendait à un cours de natation. Des proches, dont sa filleule, habitent en effet la région et le suspect y aurait fait plusieurs déplacements, a indiqué BFMTV jeudi.
Des vérifications vont être également réalisées sur une autre disparition dans le Gard, celle d'Antoine Zoia, un adolescent de 16 ans, disparu le 1er mars 2016 près de Nîmes, alors qu'il se devait se rendre dans un bureau de tabac.
Le parcours du suspect passé au peigne fin
Des gendarmes sont désormais chargés de retracer avec précision le parcours du suspect sur les quinze dernières années, afin d'établir une éventuelle implication de Nordahl Lelandais dans ces dossiers. Les différentes adresses de l'ex-militaire, mais aussi ses comptes en banque, ses communications téléphoniques, les emplois qu'il a pu occuper et les véhicules qu'il a utilisés, vont être passés au crible, et intégrés au logiciel AnaCrim.
Les enquêteurs pourraient ainsi visualiser plus clairement son parcours - où était-il à quel moment ? - et comparer ces conclusions aux disparitions signalées dans la région. Un travail une fois de plus fastidieux, qui prendra sans doute plusieurs mois.
AnaCrim, un procédé long, complexe, mais efficace
Le logiciel AnaCrim est ce que l'on appelle une "plateforme d’analyse de bases de données multi-formats". Les analystes criminels sont chargés de relire avec la plus grande attention toutes les pièces des procès-verbaux rédigés dans le cadre de l'affaire judiciaire, et d'en extraire chaque élément susceptible d'être intéressant pour la suite. Cela peut aller des constatations effectuées par les enquêteurs à l'époque aux plus petits témoignages. Ces éléments doivent obligatoirement et uniquement provenir du dossier d'instruction, sans quoi la procédure pourrait être invalidée.
Ce travail de longue haleine peut prendre plusieurs mois, d'autant que les enquêtes autour de ces affaires non élucidées s’étalent bien souvent sur plusieurs années. Une fois ces données entrées dans le logiciel, puis "digérées", AnaCrim est capable de livrer, dans une visualisation graphique, un schéma relationnel entre chaque protagoniste. Les enquêteurs peuvent même directement cibler certains lieux ou acteurs, et visualiser graphiquement leurs liens avec d’autres éléments de l’enquête. AnaCrim permet aussi de mettre en évidence d'éventuelles incohérences dans l'emploi du temps d'un témoin ou d'un suspect.
Plus largement, le logiciel permet surtout d’écarter des pistes, d’en dégager d’autres, voire de les prioriser. S'il ne remplace par l'enquêteur, ni l'intelligence humaine, il aide à traiter la montagne de données de ces dossiers très lourds. L’enquêteur, bien qu’il ait pu suivre le dossier dès le début, ne peut pas avoir en tête chaque micro détail, à première vue anodin mais qui peut se révéler déterminant, une fois mis en lien avec d’autres éléments du dossier. AnaCrim peut aussi identifier des similitudes de modes opératoires entre plusieurs affaires.
En France, ce type de logiciel est utilisé depuis le début des années 1990 par les 400 analystes criminels du Service central du renseignement criminel (SCRC) et toutes les unités de recherche de gendarmerie, mais la dernière mouture d'AnaCrim date d'une dizaine d'années. Tous les grands services d'enquête européens se sont dotés de ce type d'outil, à commencer par Europol, l'office de police criminelle qui facilite l'échange de renseignements entre polices nationales en matière de stupéfiants, de terrorisme, de criminalité internationale et de pédophilie au sein de l'Union européenne.
En plus de l'affaire Grégory, Anacrim a également été utilisé pour retrouver des criminels comme Michel Fourniret, pour rechercher des enfants disparus, comme Marion Wagon, enlevée en 1996. Les affaires Francis Heaulme, ou celle des disparus de l’Yonne, ont également fait l'objet d'analyses via le logiciel.