"Ne plus oublier personne". Emmanuel Macron a présenté jeudi son plan de lutte contre la pauvreté, "un combat neuf, indispensable, vital pour notre pays" et pour " ne pas oublier les derniers de cordée". Au total, l’État va dédier huit milliards d’euros sur quatre ans pour tenter d’éradiquer la grande pauvreté et l’exclusion sociale, par le biais d’une batterie de mesures allant du petit-déjeuner offert aux enfants dans les écoles des quartiers prioritaires à l’augmentation des places en crèche, en passant par l’obligation de se former jusqu’à 18 ans. Mais ce plan peut-il réussir là où les précédents ont échoué ? Europe 1 a recueilli l’opinion d’associations de lutte contre la pauvreté.
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"Il faut former les professionnels de l’éducation à la connaissance de la pauvreté"
Marie-Aleth Grard, vice-présidente d’ATD Quart-Monde
"Notre président de la République a eu des paroles très fortes, en disant que l’ambition pour tous, dans notre République, c’est l’éradication de la grande pauvreté. Nous espérons que ces paroles seront suivies d’actes. Ce n’est pas qu’une question d’argent. Huit milliards d’euros, c’est considérable. On sent une volonté, même si on n’est pas emballé par toutes les mesures.
On nous dit qu’il y aura 30.000 places de plus en crèche. C’est une très bonne chose mais pour que les personnes les plus pauvres puissent en bénéficier, il faut que les personnels soient formés pour aller chercher les parents dans les quartiers afin qu’ils osent venir à la crèche pour faire garder leurs enfants. Quand on vit dans la grande pauvreté, c’est difficile d’aller vers ces services-là.
Ce qui nous emballe moins, c’est dans le domaine de l’éducation. Des dispositifs qui ont déjà fait leurs preuves depuis deux ou trois ans dans certaines académies, n’ont pas été retenus pour être appliqués partout dans notre pays. Il faut absolument former les professionnels de l’éducation et de la petite enfance à la connaissance de la pauvreté et la grande pauvreté."
"Le président a l’air d’avoir pris le combat contre la pauvreté à bras le corps"
Laurent Seux, directeur général du Secours catholique-Caritas
"Il y a une forme de changement de discours avec cette adresse à la nation. Emmanuel Macron a placé au cœur de la République la lutte contre la pauvreté, et en particulier l’éradication de la grande pauvreté. C’est un discours qu’on ne lui attachait pas il y a 15 mois. Cette perception de la société nous réjouit, le président a l’air d’avoir pris ce combat à bras le corps.
En termes d’actions, il y a des mesures intéressantes, notamment pour que les enfants des classes défavorisées puissent s’épanouir. L’accès des parents pauvres aux crèches, par exemple, est un combat que nous portons depuis plusieurs années. La garde des enfants est indispensable pour que les personnes qui sont en situation précaire puissent chercher du travail, et au-delà, avoir un travail à temps-plein.
On parle beaucoup des petits-déjeuners à l’école. Le mieux eut été que les familles en difficulté puissent avoir des revenus suffisants pour le fournir elles-mêmes. Que ce soit l’État qui s’en occupe, c’est un pis-aller. Mais c’est mieux que rien. Le revenu universel d’activité paraît également intéressant, mais c’est difficile de juger tant qu’on ne connaît pas son montant. Il y a des minima à 500 euros et d’autres à 900 euros. Le risque, c’est qu’il y ait des perdants.
Notre leitmotiv, c’est de donner aux parents les conditions pour qu’ils puissent exercer normalement leur parentalité. A priori, ce plan va améliorer les choses mais il y a peu d’objectifs chiffrés. Nous sommes quand même un peu inquiets, le budget 2019 a l’air serré, il y a le risque que, pour financer ces mesures, on déplace des sommes d’un objet à un autre."
"100.000 emplois dans l’insertion, ça correspond à un besoin"
Olivier Dupuis, secrétaire général de la Fédération des entreprises d’insertion
"On ne s’y attendait pas forcément mais ce plan offre une large place à l’insertion économique. C’est une bonne chose car on ne peut pas abandonner des gens au bord de la route dans notre société. Par ailleurs, il y a un besoin. Les entreprises cherchent à recruter mais elles ne trouvent pas. Et de l’autre côté, des gens cherchent du travail mais restent exclus.
On nous annonce 100.000 emplois supplémentaires dans le secteur de l’insertion par l’activité économique d’ici à 2022. C’est très bien parce que ça correspond à un besoin. Et les personnes que nous accompagnons créent de la valeur. Bien sûr, il y a un délai de réapprentissage, on parle de personnes exclues du marché de l’emploi pendant plusieurs années. Mais 45% d’entre elles retrouvent un emploi derrière leur contrat d’insertion. En revanche, il ne faut pas que ces contrats soient une parenthèse entre deux périodes de chômage, il faut insérer pour de bon les travailleurs les plus fragiles.
On applaudit aussi la création d’un service public de l’insertion, un guichet unique facile d’accès pour toutes les personnes en situation d’exclusion. Maintenant, cette mesure est un serpent de mer, il faudra voir comment elle sera appliquée. C’est simple : si on injecte de l’essence dans le moteur, on a les moyens de faire plus. L’heure de vérité sera le budget 2019. Si on passe de 845 à 850 millions d’euros pour l’insertion, ça ne va pas le faire. Il faut s’approcher des 900 millions."
"Des efforts sont faits, mais nous n'avons pas la mémoire courte"
Jean-François Maruszyczak, délégué général d'Emmaüs France
"Bonne nouvelle, le président prend enfin en compte la situation de la pauvreté en France. Ce n'était pas évident : depuis un an, les pauvres souffrent des décisions du gouvernement sur la suppression des contrats aidés, la baisse des APL… Le discours a changé, des efforts sont faits. Huit milliards d'euros, c'est une somme conséquente. Mais nous n'avons pas la mémoire courte.
Sur plusieurs points, nous avons le sentiment que les associations ont été entendues. Dans le cas d'Emmaüs, nous nous félicitions de voir le dispositif d'insertion professionnelle 'Convergence' et celui des 'territoires zéro chômeurs', prolongés et dupliqués. Et il y a deux surprises du chef : le revenu universel d'activité et le service public d'insertion. Il n'y a rien de concret mais ce sont des bonnes pistes. Aujourd'hui, un certain nombre de personnes en situation de précarité ne connaissent pas leurs droits et ne réclament pas leurs allocations.
Toutefois, il y a des trous dans la raquette. On attendait le 'grand soir', un plan qui ne laisserait personne sur le carreau. Ce n'est pas le cas. Nous n'avons rien entendu sur les migrants, les personnes âgées, les sortants de prison. C'est une déception pour Emmaüs, qui a un regard global sur la pauvreté. Couplées à l'absence d'augmentation des minima sociaux en 2019, ces exceptions nous laissent un goût amer. Nous allons donc être très vigilants quant à l'application du plan."