C'est une vague de chaleur sans précédent pour un mois de juin en France. Dès lundi, et pour au moins six jours, des températures records sont attendues dans le pays, alors même que les vacances scolaires n'ont pas commencé. Les écoles sont donc sommées de s'adapter pour mieux prévenir les effets de la canicule sur les enfants, particulièrement vulnérables à ce genre de phénomènes. Pour ce faire, le ministère de l’Éducation nationale a transmis quelques recommandations à ses chefs d'établissements. Mais nombreux sont ceux à dénoncer le décalage entre la théorie et la pratique.
Ce que recommande le ministère
Le ministère de la rue de Grenelle invite tout d'abord à "garder les enfants dans une ambiance fraîche", en fermant les volets et les rideaux, et en limitant les entrées de chaleur dans les salles. Les professeurs sont aussi invités à vérifier la température fréquemment à l'aide d'un thermomètre et à envisager une solution de "repli" dans un endroit plus frais si la température intérieure devient difficile à supporter.
De l'eau devra également être distribuée régulièrement, à température ambiante, pour éviter la déshydratation des enfants. L'alimentation devra, elle aussi, être adaptée, tandis que les dépenses physiques et activités sportives devront être limitées.
Des consignes souvent incompatibles avec la réalité
Il n'en fallait pas plus pour déclencher l'ire de nombreux enseignants sur les réseaux sociaux. Pour la plupart, ces conseils ont tout l'air de vœux pieux. "Encore des gens qui semblent n'avoir jamais vu une école en vrai...", raille notamment une professeure sur Twitter. "Ils se foutent de nous ? Depuis quand on a des volets dans nos classes ? Des thermomètres qu’on n’a pas, et qui serviraient à quoi ? À voir qu’il fait 40 dans la classe, et 38 dans la cour ?", s'emporte une autre.
#Canicule Déjà rien que les deux premiers tirets : LOL
— Marie-Laure GB (@MarieLaureGB) 22 juin 2019
Encore des gens qui semblent n'avoir jamais vu une école en vrai... pic.twitter.com/TzF7Ey3aVW
Ils se foutent de nous?
— Loulou fitzgerald (@Islandeliss) 22 juin 2019
Depuis quand on a des volets dans nos classes? Des thermomètres qu’on n’a pas, et qui serviraient à quoi? À voir qu’il fait 40 dans la classe, et 38 dans la cour?
@parentsprofsmag pic.twitter.com/k14Inpz969
"Ces conseils sont surréalistes", pointe une troisième. "La mairie vient d'installer une douche, un WC, des vestiaires, que les dames de cantine n'utilisent pas car il y a ce qu'il faut autrement : 10 000 euros. Ma classe orientée plein sud, on crève à 30°. Le store demandé depuis 15 ans ? Rien. Si, un maigre ventilo.", s'insurge encore un enseignant.
Ces conseils sont surréalistes.
— artemis (@ArtemisVo) 23 juin 2019
-Des stores minces ne protègent de rien.
-Les écoles n'ont pas de volets.
-Certaines n'ont pas de vrai toit.
-Le volume des classes interdit de garder les fenêtres fermées (asphyxie)
-La majorité n'a pas de point d'eau.
Pas d'arbres, pas de clim
La mairie vient d'installer une douche, un wc, des vestiaires, que les dames de cantine n'utilisent pas car il y a ce qu'il faut autrement. 10 000€.
— Henri Achère (@mercibienvous) 23 juin 2019
Ma classe orientée plein sud, on crève à 30°. Le store demandé depuis 15 ans ? Rien. Si, un maigre ventilo.#tropchaudenclasse
Voilà le genre de message qu'on pouvait lire dès dimanche, notamment sur les groupes Facebook de "Stylos rouges", ce mouvement de protestation du mouvement enseignant né en parallèle des "gilets jaunes". "Vos enfants ne sont pas en sécurité !", prévenait notamment l'un d'entre eux.
Certains envisagent un droit de retrait
Dans de telles conditions, un certain nombre de recommandations risquent bien de rester lettre morte. "On est tous vigilants, tous mobilisés, mais on ne fera pas de miracle", prévient Florence Delannoy, secrétaire générale adjointe du SNPDEN, qui représente et défend les personnels de direction.
Fabien Grenouillet, directeur d'école primaire à Givors, dans le Rhône, ne cache d'ailleurs pas son inquiétude. "On a eu à peu près la même situation il y a deux ans, où on avait relevé des températures de 32 degrés dans les classes à 9 heures du matin. Ce n'était pas gérable !", se souvient-il auprès d'Europe 1. Et cette année, la canicule s'annonce encore plus intense qu'à l'époque, plus particulièrement en fin de semaine : "il n'y aura pas d'apprentissage jeudi et vendredi dans les écoles, ça va être de la survie !", avertit le directeur, qui redoute un grave accident. Si un tel drame devait se produire, "le ministère se couvrirait derrière ses recommandations et ça retomberait une fois de plus sur la responsabilité des enseignants", anticipe-t-il.
"Beaucoup d'instituteurs sont inquiets car on ne sait même pas à partir de quelle température on ne doit plus faire classe", souligne aussi Francette Popineau, co-secrétaire générale du SNUipp-FSU, le syndicat majoritaire des enseignants du premier degré. "Certains personnels envisagent d'utiliser leur droit de retrait pour protéger leurs élèves", fait-elle ainsi savoir. L'organisation a d'ailleurs envoyé un courrier au ministre de l'Éducation nationale, lundi, afin de demander des réponses concrètes.
Les épreuves de brevet reportées
Alors que les aspirants bacheliers passaient bien leur dernière épreuve écrite ce lundi après-midi, les élèves de troisième étaient quant à eux censés plancher sur leur brevet en plein pic de chaleur, jeudi (français et mathématiques) et vendredi (histoire-géographie et SVT/Physique-chimie). Le ministre Jean-Michel Blanquer a finalement annoncé lundi que l'examen se déroulera lundi 1er et mardi 2 juillet.
"A minima, il faut que le ministère demande aux familles qui le peuvent de garder leurs enfants à la maison lors des jours les plus chauds, pour que les conditions soient plus facilement gérables", plaide par exemple le directeur d'école primaire Fabien Grenouillet, qui estime que "si on ferme les écoles jeudi et vendredi, ça peut aussi donner lieu à une prise de conscience."
Lundi matin, sur franceinfo, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a en tout cas prévenu qu'un point d'étape serait effectué tous les soirs à 17 heures au ministère, département par département. "Et s'il convient de garder des enfants à la maison jeudi ou vendredi, nous donnerons les consignes en ce sens", a-t-elle affirmé, avant d'ajouter : "pour l'instant, ce n'est pas prévu."
Une réflexion à mener au long terme
Globalement, l'ensemble des acteurs demande à ce que l'ensemble des partenaires publics investisse dans l'amélioration des locaux scolaires et leur adaptation à ces conditions climatiques. D'autant que les écoles les plus anciennes sont souvent celles qui permettent le mieux de faire face aux vagues de chaleur comme de froid. Dans certaines régions, la hausse démographique est par ailleurs si importante que l'installation de préfabriqués est bien souvent privilégiée. Or, en période de fortes chaleurs, ceux-ci peuvent vite devenir de vraies fournaises.
"Rapidement, il conviendra d’envisager un groupe de travail sur ces questions des conditions de travail pendant les températures extrêmes, de s’atteler sérieusement à une adaptation du bâti scolaire existant comme au cahier des charges des constructions d’écoles", enjoint ainsi le SNUipp-FSU, dans son courrier à Jean-Michel Blanquer. "Ces questions vont se poser de manière récurrente. On ne peut pas toujours remettre à plus tard ces investissements", abonde Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Sgen-CFDT.
Une semaine après les appels à la grève de la surveillance du baccalauréat, le ministère de l’Éducation nationale fait donc déjà face à une nouvelle grogne. La fin d’année scolaire s’annonce décidément bien chaude…