Lundi marquera le 75ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. Symbole de la barbarie nazie, un million de juifs sont morts dans ce lieu qu'il ne faut pourtant pas oublier. C'est ce que pense en tout cas Ginette Kolinka, rescapée du camp d’Auschwitz-Birkeneau et auteure de Retour à Birkeneau (éditions Grasset), invitée dimanche d'Europe 1. Pour cette dame de 95 ans, qui accompagnait encore récemment un groupe de lycéens normands au sein du camp situé en Pologne, témoigner est un devoir. "C'est important car ceux qui ne vont pas là-bas ne peuvent pas se rendre compte de ce que c'était", explique-t-elle. "Il n'y a pas de mots assez puissants."
L'arrivée en enfer
Elle a 19 ans lorsqu'elle est déportée en avril 1944, avec son petit frère de 12 ans, Gilbert, son père et son neveu. Elle sera la seule rescapée. Dans son convoi, se trouvent Simone Veil et Marceline Loridan-Ivens. "Quand on descend du train, on se dit rien. On est abruti du voyage. Dans notre wagon, nous n'avions pas de chances : il n'y avait pas de fenêtres. Nous étions dans l'obscurité et la puanteur", se souvient Ginette Kolinka. A son arrivée, les officiers allemands procèdent à une sélection entre le camp de travail et les chambres à gaz. Mais l'adolescente de l'époque n'a pas conscience de ce qui est en train de se produire.
"Le camps est éloigné du quai. Les officiers hurlent quelque chose : les personnes malades, fatiguées, qui ne veulent pas marcher peuvent monter dans des camions. Quand j'ai entendu ça, j'ai dit à mon frère et à mon père de monter, ils m'ont écouté. Le temps que je me retourne, ils n'étaient déjà plus là." Lorsqu'elle arrive à proximité du camp, elle voit les cheminées et la fumée continuelle. "Tous ces messieurs sans arrêt nous répétaient : ne vous inquiétez pas, vous allez les retrouver dans le camp", se souvient Ginette. Mais une jeune femme à côté d'elle demande alors où se trouve son fils. On lui répond "la fumée, l'odeur : c'est eux".
"On ne peut pas croire des choses comme ça", murmure la rescapée. "On a assassiné des bébés, des enfants, des gens uniquement parce qu'ils étaient juifs".
"Quand je suis rentrée à Paris, je pesais 26 kilogrammes"
"Mon cheval de bataille, c’est la haine", assure-t-elle aujourd'hui. Après la libération du camp, Ginette Kolinka est hospitalisée durant un mois en Tchécoslovaquie, où elle est nourrie artificiellement. "Quand je suis rentrée à Paris, je pesais 26 kilogrammes. Quand j'ai été arrêté, j'en pesais 66."
Si Ginette a survécu, c'est grâce à sa famille. "J'ai eu la très grande chance de retrouver ma mère et mes sœurs. Cela fait une très grande différence avec ceux qui n’ont retrouvé personne." Elle doit vivre toute sa vie avec un remord : avoir dit à son frère et son père de monter dans les camions. "Cela ne me quittera jamais, tout comme celui d'avoir annoncé à ma mère sans précaution qu'elle ne les reverrait jamais parce qu'on les avait gazé et brûlé leurs corps".
La visite du camps avec les scolaires
Ginette Kolinka, malgré ses 95 ans, se rend régulièrement dans les classes ou accompagne des sorties scolaires pour raconter son histoire. Dernièrement, elle a visité le camp d’Auschwitz-Birkeneau avec un groupe de lycéen venu de Normandie. Il y a toujours un lieu qu'elle tient à montrer aux visiteurs : le lieu d'aisance. "Comment des êtres humains ont pu penser à faire des choses comme ça ? Des gens qui vont faire leurs besoins côtes à côtes, dos à dos dans une salle commune. C’est quelque chose que je n’arrive pas à accepter..."
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"Je leur dis de fermer les yeux parce que ce que l’on voit, ce n’est pas Birkenau, c’est un des plus grands cimetières du monde. Les nazis se sont débrouillés pour ne pas laisser une seule trace des morts qu’il y a eu là-bas", décrit Ginette Kolinka. "Chaque pas que vous faites, il y a quelqu’un qui est tombé là, sous les coups, mort, évanoui, ensanglanté. Nous, on n'a connu que la crasse, la férocité, la bestialité. Mais cela ne se voit pas, alors que je leur dis de fermer les yeux, de m'écouter et de s'imaginer. Quand je leur dis que nous étions battus, ils imaginent une gifle. Moi, l’image que j’ai, c’est la personne qui est battue, qui tombe à terre, et on continue de la battre à coup de pieds, de bottes, jusqu’à ce que la personne meurt ou s’évanouisse."
L'importance des passeurs de mémoire
Cette semaine, un sondage révélait qu'un français sur quatre de moins de 38 ans n'a jamais entendu parler de la Shoah. "Cela ne m'étonne pas, si les gens n'ont pas été touchés par cette histoire dans leurs familles", réagit la nonagénaire. "Quand je vais dans des établissements scolaires, je leur dis qu'ils deviennent des passeurs de mémoire. Les gens doivent savoir jusqu'où peut amener la haine."
Ginette Kolinka compte sur "les passeurs de mémoire" pour assurer la transmission. "Je dis aux élèves : 'vous avez le droit de discuter avec vos parents. S’ils sont antisémites, s’ils sont racistes expliquez leur qu’ils n’ont pas le droit.' Nous sommes des êtres humains, nous avons tous des qualités, des défauts, et si nous nous acceptions, sans se croire supérieur à l’autre, peut être qu’il n’y aurait pas de racisme ou antisémitisme."