Des statues du roi Léopold II en Belgique, d'autres de Winston Churchill ou encore d'Edward Colston au Royaume-Uni ont été déboulonnées ou vandalisées ces derniers jours. Un phénomène observé aussi aux Etats-Unis lors des manifestations contre le racisme qui se propagent depuis la mort de George Floyd, étouffé par un policier le 25 mai. Un phénomène "choquant" pour l'historien Jean-Pierre Guéno, invité d'Europe 1 mercredi.
Selon lui, le démontage de statues de figures liées au colonialisme ou à l'esclavagisme n'est pas la bonne solution pour sensibiliser à ces sujets. C'est même "une négation de l'histoire très maladroite". "On convoque l’histoire, on la manipule, on la trafique et on l’efface. Et ce n’est pas nous rendre service car l’histoire éclaire le présent et l’avenir."
Pour Jean-Pierre Guéno, le risque est d'occulter l'histoire de ces personnages : "Edward Colston, c’est Docteur Jekill et Mister Hyde. On connait le négrier qui a fait fortune avec le transport de 80.000 esclaves en provenance d’Afrique. Mais c’est aussi un formidable mécène qui a été le bienfaiteur de la ville de Bristol", certes avec de l'argent "très sale". Même constat pour Winston Churchill, en première ligne face à l'invasion allemande durant la Seconde Guerre Mondiale mais qui "n'a pas été très net pendant les guerres coloniales".
"Jules Ferry a écrit des horreurs mais il ne faut surtout pas les effacer"
Jean-Pierre Guéno prend aussi l'exemple de Jules Ferry, instigateur de l'école obligatoire pour tous en France, mais aussi théoricien de la raciologie dans les années 1870. "Il a écrit des horreurs, mais il ne faut surtout pas l'effacer", soutient-il. "On en a fait des tonnes sur la décolonisation, reste à porter la mémoire de la colonisation, qui est quelque chose de terrible."
Jean-Pierre Guéno présente une alternative à ces actes de vandalisme contre les statues : "Il suffirait de les déplacer, de les mettre dans des musées. Mêmes celles de gens monstrueux comme Hitler ou Staline méritent d’être mises dans des musées. Il faut publier les ouvrages monstrueux d’Hitler comme Mein Kampf."
"Il vaut mieux crever les abcès"
Tout est finalement une question de contextualisation pour l'historien, qui explique que "si on sort les personnages de leur contexte on ne comprend plus rien et on mélange tout". Le travail de l'historien prend alors tout son sens en jouant son rôle de mémoire et de décryptage pour les prochaines générations. "ll vaut mieux crever les abcès. En France, nous ne sommes pas très doués pour cela. Il y a des points de l’histoire qui nous gêne. Le mot 'guerre' est toujours tabou à propos de l’Algérie par exemple. On parle encore d’une opération de pacification."