Echec du plan anti-pesticides : "il faut revoir fondamentalement l'agriculture"
Claudine Joly, en charge des questions pesticides à France Nature Environnement, réagit sur Europe 1 à un rapport de la Cour des comptes qui dévoile que plus de 400 millions d'euros ont été dépensés par l'Etat en 2018 pour réduire l'utilisation de pesticides. Malgré ces investissement importants, l'usage de produits phytosanitaires a augmenté.
Selon un rapport rendu par la Cour des comptes , l'Etat a engagé 400 millions d'euros en 2018 dans le but de réduire l'utilisation des pesticides en France. Cet argent public est investi dans le cadre du plan Ecophyto, né au Grenelle de l'environnement en 2007. L'objectif : réduire de moitié l'utilisation des pesticides avant 2018. L'échec est patent, au point que l'ancien ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll a repoussé l'objectif à 2025. Pire, l'utilisation des produits phytosanitaires sont mêmes en constante progression en France.
"C'était un objectif basé sur une étude qui indiquait qu'il était possible de réduire de façon notable l'utilisation des pesticides, sans pour autant réduire les revenus des agriculteurs", explique Claudine Joly de l'association France nature environnement. "C'est sur cette base, avec des marges de progrès évidentes, qui a fait proposer ce chiffre de 50% à l'horizon 2018. Au bout de dix ans, en cours de route, on s'est aperçu que l'on ne s'orientait pas du tout vers cette diminution. C'est pourquoi l'objectif a été repoussé par monsieur le Foll, qu'il a requalifié l’objectif en 'cap et orientation', à l'horizon 2025", précise Claudine Joly au micro d'Europe 1.
"400 millions d'euros, ça me parait énorme"
"On a mis en place ce plan, très ambitieux, exceptionnel en Europe. Il a été conçu dans la concertation en 2007-2008. Nous avons y placé beaucoup d'espoir. C'est notre philosophie, nous sommes des environnementalistes motivés, mais avec l'idée de travailler avec des acteurs de terrain", soutient la militante. "Il n'est pas question d'être dans une opposition radicale sans raisonnement et d'imposer des choses de l'extérieur", poursuit-elle.
Cette semaine, c'est la Cour des comptes qui épingle le gouvernement concernant les dépenses de ce plan. 400 millions pour finalement constater une augmentation des produits chimiques. Une surprise pour Claudine Joly, qui détaille les dépenses liées au plan Ecophyto. "Je suis impressionnée par ce chiffre. Il y a un financement du plan à hauteur de 41 millions d'euros tous les ans, auxquels s'ajoutent 30 millions pour les régions. On est à 71 millions d'euros. On nous avait parlé du coût des services de l'Etat qui pouvait atteindre 200 millions d'euros. J'avoue que 400 millions, ça me parait énorme", confie Claudine Joly, surprise.
Mieux cibler les aides
"On a une vision assez floue, mais on se rend compte que ça mobilise beaucoup de services de l'Etat, que ça prend beaucoup de temps, pour ce résultats décevant" concède la militante environnementale. Selon elle, il s'agit de mieux cibler les aides : "Avec ces chiffres, on constate l'inefficacité du plan. Il faut se poser les bonnes questions : est-ce qu'il ne faudrait pas investir directement dans les pratiques agricoles à faible niveau de pesticides, comme l'agriculture biologique, avec des cahiers des charges précis sur des obligations de résultats, soutenir des agriculteurs directement, sans passer par les méandres de l'administration et de très nombreuses réunions pour un plan sophistiqué, séduisant, mais sans résultat ?".
"Il faut revoir fondamentalement l'agriculture"
En effet, l'utilisation de produits phytosanitaires progresse. Une situation créée par un système économique viable, selon Claudine Joly. "Il y a des blocages car ce n'est pas simple de changer de pratiques. On est basé sur une agriculture qui a très bien fonctionné pendant des dizaines d'années, où on a augmenté la productivité. A chaque fois qu'on rencontrait un problème, on avait la solution avec un produit chimique. Économiquement, c'est un système stable, formidable même, si on ne prend pas en compte les problématiques sanitaires et environnementales".
"Quand on veut changer cette pratique et réduire nettement l'usage des pesticides, il faut revoir fondamentalement l'agriculture, changer nos systèmes de productions, il faut faire de la prévention et non traiter au fur et à mesure", explique Claudine Joly. "Cela demande un effort intellectuel important, une prise de risque, un encadrement, de la formation, de la communication. Actuellement, il n'y a aucune mesure qui incite réellement les agriculteurs à changer leurs pratiques", déplore la militante.