Alors qu’elle était en instance de divorce avec leur père, Dominique, la mère d’Agnès, Stéphanie et Isabelle a disparu du jour au lendemain. C’était il y a huit ans et les sœurs n’ont plus jamais eu de nouvelles de leur mère. Sa disparition semble volontaire, car elle a déposé un testament la veille, a emporté ses fiches de paie et a laissé une lettre adressée à sa plus jeune fille, Isabelle. Les trois sœurs confient à Olivier Delacroix leurs questions sans réponse et leurs hypothèses quant à la mystérieuse disparition de leur mère.
Stéphanie, l’aînée de la fratrie, raconte le jour où sa mère a disparu : "Elle discutait avec mon papa en début d'après-midi, ils ont bu un café. Elle voulait divorcer, mais il n’était pas d'accord. Elle est partie avec son sac à main et on ne l'a jamais revue. Elle a laissé son téléphone portable et ses vêtements… Rien n'avait bougé. Ce n’était jamais arrivé. On s’est dit qu’elle était peut-être partie à l'hôtel et qu’elle allait revenir. Le jour suivant, personne. C'est là qu’Isabelle m'a appelée. Comme j'étais en Alsace, c’est Agnès qui est allée au commissariat pour déclarer qu’elle avait disparu et qu'on n'avait plus de nouvelles.
Je pense qu'elle avait quand même prémédité son départ puisque quand on a fouillé dans ses affaires, tous ses bulletins de salaire avaient disparu. Peut-être était-ce pour trouver du travail ou pour la retraite, je ne sais pas. On sait qu'elle avait fait un passeport avant de partir. Mais elle n’a jamais voyagé et ne parlait pas de langue étrangère. Pourquoi avoir fait un passeport ? Peut-être a-t-elle voulu partir à l'étranger au début ? Peut-être est-elle de retour en France maintenant ? On ne sait pas.
" Je ne comprends pas comment on peut arriver à vivre sans nouvelles de ses filles "
Mon père ne comprenait pas. Même quand on en parle encore aujourd'hui, il ne comprend toujours pas. Il dit que divorcer est une chose, mais ses filles et ses petites-filles, c'était tout. Alors elle ne pouvait pas partir comme ça du jour au lendemain sans donner signe de vie, du moins à nous. On n'a rien à lui reprocher. Bien au contraire. On n'a jamais manqué de rien. Tout était pour ses filles. Elle s'est toujours occupé de tout le monde. Je pense qu'elle a peut-être eu un ras le bol. Peut-être avait-elle simplement envie de vivre pour elle. Je pense qu'elle n'a pas eu de jeunesse puisqu'elle n’a connu que mon père.
Parfois, on est fatigué. Il faut s’occuper des enfants, faire à manger, tout gérer. Parfois, on dit sous la colère : 'Je vais m'en aller'. Ce ne sont que des paroles, mais elle ne l'a jamais dit. Elle disait quand même parfois : 'Je voudrais bien voir comment serait la maison si je n'étais plus là.' Je ne comprends pas comment on peut arriver à vivre sans avoir de nouvelles de ses filles, de ses petites-filles, sans donner signe de vie. Si un jour elle devait revenir, je voudrais une explication à ce sujet.
" Je lui en veux évidemment, parce que je ne comprends pas sa démarche "
Au fond de moi, je pense que quelqu'un sait quelque chose, quelqu'un de notre entourage. Je pense à un ami. Il sait peut-être certaines choses que je ne sais pas. Ils étaient très proches l'un et l'autre. Elle se confiait à lui. C’est ça pour qu’on avait envoyé la police chez lui. A priori, ils n'ont rien trouvé de bizarre. Je ne sais pas ce qui s'est dit pendant l'entretien. On est allés devant chez lui plusieurs fois la nuit, pour surveiller. On se pose toujours les mêmes questions. Je lui en veux évidemment, parce que je ne comprends pas sa démarche. Mais si je la voyais, je serais contente."
Après la disparation de leur mère, les sœurs ont retrouvé une lettre dans laquelle elle s’adresse à Isabelle, la benjamine. Celle-ci évoque le contenu de cette lettre : "Elle me demandait de lui pardonner avec le temps et de partir vivre chez ma grande sœur, Stéphanie. Peut-être était-ce pour je ne me retrouve pas toute seule." "Elle savait très bien que si Isabelle me demandait de venir à la maison, je n'aurais jamais dit non. Je pense que c'est pour ça." ajoute Stéphanie.
" Même si on était majeures, je considère qu’on a été abandonnées "
Depuis qu’elle est mère, Agnès, la cadette, explique encore moins comprendre le départ de sa mère : "Même si on était majeures, je considère qu’on a été abandonnées. Je ne vois pas comment on peut faire ça à ses enfants. À moins qu’une chose folle soit arrivée. C'est pour ça qu'on attend des explications. On divorce de son mari, mais pas de ses enfants. Nous n'y sommes pour rien dans l'histoire. J'aurais du mal à accepter qu'elle dise qu’elle est partie pour quelqu'un d'autre. Elle quitte papa, mais pas nous.
Je ne la vois vraiment pas partir avec quelqu’un. Comment aurait-elle fait pour rencontrer quelqu'un ? Sauf si c'était une personne qui faisait déjà partie de l'entourage. Je pense que cet ami est au courant. Avant qu'elle disparaisse, papa m'avait demandé de suivre maman en voiture, parce qu'il était persuadé que si elle voulait le quitter, c'est parce qu'elle avait quelqu'un d'autre. Je l'ai suivie et elle est allée directement chez lui." Finalement, cette piste n’a pas abouti, parce que l’ami que les sœurs évoquent s’est marié depuis.
Devenues mères à leur tour, l’absence de Dominique pèse sur les sœurs. Isabelle attend son premier enfant et appréhende sa naissance : "Il manquera une personne." confie-t-elle. Cette absence a également affecté Agnès, se souvient-elle : "J'étais un peu jalouse de Stéphanie parce qu’elle a eu maman pour ses deux grossesses. Moi, j'avais du monde autour de moi, mais ce n'était pas ma maman. Il n'y a pas très longtemps, ma fille de trois ans m'a demandé où était ma maman. Je ne m'attendais pas à cette question aussi tôt. Je lui ai juste dit qu'elle était partie et qu'on ne savait pas où."
" Ce n’est plus disparition volontaire, c’est disparition tout court "
La veille de sa disparition, Dominique s'est rendue chez un notaire pour déposer un testament dans lequel elle déshérite son mari, dont elle veut divorcer. Mais l’écriture du testament manuscrit semble ne pas être la même que celle sur la lettre laissée à Isabelle. Huit ans plus tôt, les sœurs ne l’avaient pas remarqué. Stéphanie s’interroge sur cette découverte : "Je me souviens que quand j'ai trouvé cette lettre, je tremblais de partout. J'ai appelé mon mari en pleurs et j’ai tout de suite appelé Agnès.
On l’a trouvée ensemble avec Isabelle. On l'a lue sans faire attention aux fautes. On n'a pas percuté sur le coup. Quand on l’a lue, on était persuadées que c'était elle. On n’a jamais pensé que ça pouvait ne pas être elle. Elle a prémédité. Elle a fait son testament, son passeport, a pris ses fiches de paie. Tout ça a une cohérence, mais cette lettre n'a pas de sens. Pourquoi ce n'est pas elle qui l'a écrite ?"
Pour Agnès, cette lettre vient bouleverser la thèse d’une disparition volontaire : "La lettre remet en question plein de choses. On est certaines que ce n'est pas elle qui l'a écrite. Ce n’est plus disparition volontaire, c’est disparition tout court. Elle était proche de nous et de ses petites filles. Il n'y a aucune raison pour qu'elle soit partie comme ça, sans nous laisser d’explications. Je pense au pire. Peut-être lui est-il arrivé quelque chose et pour essayer de couvrir ce qui s'est passé, il y a cette lettre qui laisse penser qu'elle est partie de son plein gré.
Il lui serait arrivé quelque chose et cette lettre a été écrite pour brouiller les pistes. En fin de compte, ça cache peut-être quelque chose d'autre. Ou peut-être que quelqu'un l'a aidée, a écrit cette lettre et l’a déposée à la maison. Je vais retourner au commissariat pour leur montrer et voir si l’on peut relancer l’enquête avec ce nouvel élément." Malgré ce rebondissement, l’analyse graphologique conclura finalement que la lettre et le testament ont tous deux bien été rédigés par leur mère, ramenant les sœurs au point de départ.