"Si on veut dépasser la problématique du racisme, il faut connaître l'histoire du racisme", martèle Lilian Thuram. Dans La pensée blanche, qu'il publie aux éditions Broché, l'ancien footballeur appelle à s'interroger sur des mécanismes de discrimination intériorisés par tous. Au micro de Frédéric Taddeï, samedi sur Europe 1, il souligne à la fois la difficulté et la nécessité d'une prise de conscience de ces "biais".
"Des enfants de ma classe de CE2 me traitent de sale noir"
Ces questions ont toujours fait partie de la vie de Lilian Thuram, né en Guadeloupe. "J'arrive dans la région parisienne et des enfants de ma classe de CE2 me traitent de sale Noir. Et là je ne comprends pas, je subis une violence", raconte-t-il. "J'essaie de comprendre en discutant avec ma maman, et elle me dit quelque chose de très grave pour un enfant de neuf ans : 'C'est comme ça mon chéri, les gens sont racistes, ça ne va pas changer.'"
Des années plus tard, l'ex-footballeur a "retourné cette situation". "J'ai regardé les enfants qui m'avaient insulté. Et je me suis dit : 'Comment des enfants de 9 ans ont intériorisé le fait qu'être noir, c'est inférieur ? Comment des enfants de 9 ans ont intériorisé qu'ils étaient blancs et qu'être blancs, c'était être supérieur ?'"
Si tel est le cas, selon Lilian Thuram, c'est parce que "cette pensée blanche a éduqué le monde pendant des siècles. "C'est une pensée politique qui hiérarchise les gens selon la couleur de la peau. (...) On a construit l'idée qu'il y aurait une race supérieure à d'autres, mais c'est une construction, pour diviser les gens. Donc, parler de l'histoire, c'est comprendre la réalité d'aujourd'hui", déroule-t-il.
Des livres d'école hiérarchisant les races jusqu'en 1950
"Cela veut dire que peu importe votre couleur de peau, vous avez un biais blanc", ajoute le champion du Monde 1998, en tenant pour preuve le fait que "partout dans le monde, que ce soit en Afrique, en Asie ou en Inde, les femmes se blanchissent la peau parce que la beauté est liée à la blancheur de la peau". Et de citer à nouveau son expérience personnelle : "Jusqu'en 1950, en France, on apprenait aux enfants des écoles que la race blanche était la plus parfaite. Les livres [qui véhiculaient cette idée] ont été édités jusqu'en 1977. Et moi, je suis né en 1972..."
Comment, alors, lutter contre des idées ainsi intériorisées ? "Il faut se questionner", répond Lilian Thuram, citant l'exemple du communautarisme. "Si vous vous êtes contre le communautarisme, il faut se poser la question : 'pourquoi vous le dites ?' (...) Lorsque j'étais joueur de foot en Italie, un jour, il y a un entraîneur qui vient nous voir à table et nous dit : 'Vous, les Noirs, pourquoi vous êtes toujours ensemble ?'. Moi, je lui dis : 'Tiens, c'est bizarre. À cette autre table, il n'y a que des personnes blanches. Pourquoi vous n'allez pas leur dire qu'ils sont toujours ensemble ?' Et là, il m'a regardé, il est parti."