Lundi 7 janvier, après huit "actes" de mobilisations des "gilets jaunes" et de nombreux débordements, Edouard Philippe réapparaissait sur le plateau du 20-Heures de TF1 pour réagir. Le Premier ministre annonçait alors qu'une loi allait être votée pour limiter la casse. Il s'agit en réalité d'un texte déjà adopté par la droite au Sénat "avec un avis de sagesse du gouvernement", mis à l'agenda de l'Assemblée nationale. Au menu : un encadrement plus strict des manifestants, des sanctions plus dures, la création d'un fichier de personnes interdites de manifester et un principe de "casseur-payeur" pour engager la responsabilité des personnes causant des dommages.
Cette loi, qui arrive mardi dans l'Hémicycle, suscite néanmoins bien des controverses. La gauche la juge liberticide. Même au sein de la majorité, des voix s'élèvent pour en souligner les limites et les risques. Au point que le texte a été largement remanié, la semaine dernière en commission.
Un périmètre de protection et des palpations supprimées
L'article 1, notamment, a engendré un bras de fer entre des élus LREM et le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner. La proposition de loi sénatoriale prévoyait que le préfet puisse autoriser des palpations de sécurité et des fouilles de sacs "pendant les six heures qui précèdent" une manifestation et jusqu'à dispersion, "dans un périmètre délimité". Une disposition qui a crispé une partie de la majorité, inquiète que cela représente une atteinte à la liberté d'aller et venir, mais aussi de la faisabilité de la mesure. De fait, de tels contrôles mobiliseraient une part importante des forces de l'ordre.
En commission, la semaine dernière, la rapporteure LREM du texte, Alice Thourot, a proposé la suppression de cet article, sur lequel la présidente de la commission des Lois, Yaël Braun-Pivet, a également émis des réserves. Le gouvernement doit désormais proposer une nouvelle rédaction, en attendant un avis du Conseil d'État.
Des interdictions de manifester critiquées
Le texte dispose que les préfets pourront prononcer des interdictions de manifester à l'encontre d'individus susceptibles de représenter une menace grave pour l'ordre public, sous peine de six mois d'emprisonnement et 7.500 € d'amende en cas d'infraction. Pendant la manifestation, le préfet serait aussi en droit d'imposer une convocation à la personne concernée, afin qu'elle ne se rende pas à la manifestation.
Une trentaine de députés LREM ont déjà, en commission, réclamé en vain la suppression de cette mesure, soulevant un risque d’inconstitutionnalité et soulignant qu'une interdiction peut déjà être prononcée par la justice. "Si on donne à l'administration la possibilité de faire ce type d'interdictions, on perd la séparation des pouvoirs", fait valoir l'élue marcheuse Paula Forteza auprès de RTL. "On commence à trop limiter le droit de manifester." Se pose en outre la question, encore une fois, de l'application possible du dispositif : quand exactement la personne interdite de manifestation devrait-elle venir pointer, alors qu'un défilé dure plusieurs heures ?
Les élus comptent donc sur l'examen en séance pour procéder à des améliorations.
Un fichier des interdits de manifester remodelé
La proposition de loi initiale prévoyait la création d'un fichier national des personnes interdites de manifestation, sur le modèle de ce qui existe pour les hooligans interdits de stade depuis 2007.
À l’initiative de la rapporteure Alice Thourot (LREM), les députés ont revu et corrigé le dispositif en commission. Dans la dernière version en date, il n'y a donc pas de fichier dédié, mais une inscription des seules interdictions judiciaires de manifester au fichier des personnes recherchées (FPR). "Un manifestant enregistré dans ce fichier le jour de la manifestation [pourra] en ressortir le lendemain s'il n'a pas de condamnation pénale", a expliqué le député Sacha Houlié à BFM TV.
Le délit de dissimulation du visage restreint
La proposition de loi prévoit un nouveau délit de dissimulation volontaire totale ou partielle du visage dans une manifestation. Celui-ci est assorti d'une peine d'un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende. Mais les députés ont souhaité l'encadrer en précisant que le port d'un casque ou d'une cagoule ne suffisait pas à caractériser le délit. Il faut également prouver que l'intention de la personne était de participer à des troubles.
Le principe du "casseur-payeur" préservé
Les sénateurs avaient voté une présomption de responsabilité civile collective en cas de condamnation au pénal pour des violences contre les personnes ou des atteintes aux biens. Le principe a été validé par l'Assemblée nationale, avec quelques ajustements. L'État pourra bien "engager des actions de demande de réparation financière suite aux dégradations commises", explique le député Matthieu Orphelin. Mais il n'aura pas besoin d'une condamnation pénale pour le faire.
La punition du port d'arme supprimée
Les députés s'en sont pris à l'article 5 du texte, qui visait à punir le fait d'introduire ou de porter une arme dans une manifestation, y compris une arme par destination. Cette disposition a été supprimée car elle "ne paraissait pas utile eu égard à l'état du droit et à celui de la jurisprudence", a estimé Alice Thourot.
Des mesures allégées et du contrôle
Enfin, concernant la déclaration préalable des manifestations, au moins un des organisateurs devra avoir son domicile dans le département, contre trois actuellement (une obligation qui n'est d'ailleurs pas toujours respectée).
Par ailleurs, un contrôle de l'ensemble des mesures administratives a été créé, avec "des évaluations annuelles par les parlementaires", explique Matthieu Orphelin. Et le député de prévenir : "nous maintiendrons cette vigilance en séance." Cela n'a pas empêché la gauche de la gauche de monter au créneau. "Ce texte constitue une dérive autoritaire et sécuritaire", tranche ainsi l'Insoumis Ugo Bernalicis dans les colonnes du Monde.