Les enquêteurs se dirigent de plus en plus vers l’hypothèse d’un acte terroriste. Une voiture a foncé sur des militaires de "l'opération Sentinelle" mercredi matin à Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine, faisant six blessés avant de prendre la fuite. Une attaque qui a conduit le parquet antiterroriste à se saisir de l'enquête. Et qui s’ajoute à la liste des agressions commises contre les militaires membres de "Sentinelle".
Une vingtaine d’attaques depuis 2015. La première attaque remonte au 3 février 2015. A Nice, trois militaires en faction devant un centre communautaire juif sont agressés au couteau. L'assaillant exprime en garde à vue sa haine de la France, de la police, des militaires et des juifs. Moins d’un an plus tard, le 1er janvier 2016, un homme, sans lien établi avec la mouvance islamiste, fonce en voiture sur quatre militaires de l'opération Sentinelle en faction devant la grande mosquée de Valence. Un soldat est légèrement blessé à une jambe, l'agresseur est blessé par des tirs de riposte.
Le 3 février dernier, ce sont encore quatre militaires en patrouille devant le Carrousel du Louvre, à Paris, qui sont pris pour cible par un Égyptien de 29 ans, armé de machettes, en criant "Allah Akbar". Il est blessé par des tirs de riposte, un militaire est légèrement blessé. La dernière attaque en date avant celle de Levallois remonte au 18 mars dernier : un homme de 39 ans est abattu à l'aéroport d'Orly-Sud après avoir attaqué une patrouille de la force Sentinelle, en criant : "Je suis là pour mourir par Allah". L'attaque n'est pas revendiquée.
Ces attaques particulièrement graves et médiatisées, à caractère terroriste, ne sont pas les seules. Le cabinet du chef d’Etat-major des armées a recensé au total une vingtaine d'agressions depuis la mise en place de l’opération en 2015 : 8 agressions en 2015, 9 en 2016, 4 en 2017. Et au delà de ces cas remontés au cabinet du chef d’Etat-major, sur le terrain, la situation serait encore plus problématique. Cité par Le Monde en juin dernier, le colonel Benoît Brulon, porte-parole du gouverneur militaire de Paris, évoque de son côté "une dizaine d’incidents notables par mois, insultes ou actes agressifs, souvent liés à l’alcool".
" Elle est un poids très très lourd pour les armées et a un impact très négatif sur les familles et les troupes elles-mêmes "
Une "opération piège à miel" ? L’opération Sentinelle a été mise en place après les attentats de Charlie Hebdo, dans le but de protéger le territoire national et de rassurer la population. Mais la mission n’a jamais cessé de faire polémique. Beaucoup de militaires dénoncent aujourd’hui une "opération piège à miel" : une opération qui offre des cibles très visibles aux terroristes plus qu'elle ne protège la population. Face à la contestation interne, le gouvernement a dû, en 2016, revoir les missions : depuis, les patrouilles sont obligatoirement mobiles, et non plus statiques, pour ne pas en faire des cibles trop faciles.
Mais les critiques ne s’arrêtent pas là. En juin 2016, un rapport de l’Institut national des Hautes études de la sécurité et de la justice recensait les principaux griefs remontés par les militaires. Premièrement : la baisse du niveau des entraînements, en raison de la trop longue présence des soldats dans les rues. Deuxièmement : des difficultés logistiques en série (logements insuffisants voire insalubres, difficulté à trouver de la nourriture, éloignement des familles…) à cause d’une répartition trop étendue des troupes sur le territoire. Enfin : l'épuisement et la baisse du moral des militaires, liés à ces difficultés et à une trop grande amplitude horaire de travail. Autant de problèmes qui fragilisent l’opération, accentuent sa vulnérabilité et affaiblissent son efficacité.
"Cette mission a un bilan positif extrêmement faible, et un bilan négatif tout à fait important. Elle est un poids très très lourd pour les armées et a un impact très négatif sur les familles et les troupes elles-mêmes. Beaucoup de soldats, qui estiment qu'être une cible n'est pas la vocation d'un soldat, ne renouvellent pas leurs engagements", analyse sur Europe 1 le général Vincent Desportes, professeur à Sciences Po en ancien dirigeant de l'École supérieure de guerre.
Appréciée de la population mais de plus en plus contestée, l’opération Sentinelle n’en a donc pas fini de faire débat. Le 14 juillet, Emmanuel Macron a annoncé qu’elle allait être revue "en profondeur afin d'avoir une plus grande efficacité opérationnelle et de prendre en compte l'effectivité et l'évolution de la menace." Parmi les pistes envisagées : le développement d’une réserve plus étoffée, qui permettrait aux troupes de tourner sur le terrain et de passer plus de temps à l’entraînement.