Mattëo, Matilde, Loeiza... Les prénoms aux variantes originales en plein essor

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avec AFP / Crédit photo : ANTOINE BOUREAU / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP , modifié à
Si les prénoms donnés aux nouveaux-nés sont de plus en plus divers, une tendance croissante consiste également à en modifier la graphie. Par exemple, Anna devient Hanna, Ana, Hana, Hannah, Hanaa, Anah... et serait ainsi le prénom féminin le plus donné. Mais comment expliquer cette volonté des parents de personnaliser le prénom de leur progéniture ?

Mattëo, Elyo, Matilde ou Loeiza : à la diversité des prénoms donnés aux nouveaux-nés s'ajoute la tendance croissante à en personnaliser la graphie, venant bouleverser le palmarès des prénoms les plus populaires, dominé en 2023 par Louise et Gabriel. Louise, Ambre, Alba et Jade pour les filles, Gabriel, Raphaël, Léo et Louis pour les garçons : tels sont les prénoms les plus donnés en 2023 selon l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). Emma, Rose, Alma, Alice, Romy et Anna complètent ce palmarès publié sur le site de l'Insee en juillet. Pour les garçons, Maël, Noah, Jules, Adam, Arthur et Isaac complètent le Top Ten.

Mais la tendance à varier la graphie brouille le classement. Ainsi Anna, avec toutes ses variantes orthographiques (Hanna, Ana, Hana, Hannah, Hanaa, Anah....), serait en fait le prénom féminin le plus donné, suivi de Mia, 13e selon l'Insee, qui se hisse au deuxième rang avec ses variantes (Mÿa, Miyah, Miah...), a calculé le service data du Figaro.

 

Avant 1993, "l'officier d'état-civil pouvait corriger l'orthographe des prénoms, mais depuis il doit l'inscrire dans la graphie demandée par les parents", explique le sociologue Baptiste Coulmont, professeur à l'École Normale Supérieure Paris Saclay. "Aujourd'hui plus de 12.000 prénoms sont répertoriés dans le Fichier des prénoms. Au XIXe siècle, 50 prénoms suffisaient à nommer 75% des garçons ou des filles. Aujourd'hui, le plus donné ne l'est qu'à 1% des filles nées dans l'année. Dans les années 70, les Christophe représentaient 4% des naissances masculines", explique l'auteur de "Sociologie des prénoms".

Le choix de la singularité s'explique par le fait que le prénom sert aujourd'hui à identifier quelqu'un dans un groupe : une classe, le milieu du travail, où les gens étaient appelés par leur nom de famille jusqu'aux années 70, ajoute le sociologue. À cette diversité s'ajoute de plus en plus une variété des graphies : Alya passe du 40e au 7e rang si on ajoute 22 graphies différentes (Aliyah, Alliah..). Elio (Elyo, Helio...) se hisse du 31e au 9e rang, selon le Figaro.

Élodie a appelé ses enfants Loeiza, 9 ans, et Iwen, 5 ans. "Notre nom de famille est courant et mon mari Frédéric a un homonyme dans le quartier. Mon prénom était donné à deux ou trois filles par classe. Nous cherchions des prénoms originaux", explique-t-elle. "Nous aimions bien Ewen, mais craignions qu'il y en ait trop, donc on a changé une lettre pour se démarquer encore", explique cette employée de 41 ans.

"Tatouage social"

"Le nombre de prénoms en usage est un indicateur utilisé pour mesurer le niveau d'individualisme d'un pays. Les gens veulent un prénom unique et différent pour leur enfant, qu'ils voient comme un individu unique", explique Jean-François Amadieu, professeur à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Par ailleurs, les flux migratoires "génèrent un nombre très important de prénoms avec des orthographes variées" en raison de l'adaptation phonétique des alphabets étrangers, ajoute-t-il.

Pour sa part, Baptiste Coulmont relève que "l'idée que l'orthographe, c'est sacré, c'est important chez les personnes très diplômées. Une partie des gens y attachent moins d'importance et écrivent le prénom comme ils l'entendent".

 

L'originalité ne va pas sans risque. "Les parents veulent bien faire mais des études scientifiques ont montré que des prénoms avec des graphies non conventionnelles peuvent susciter du rejet chez les autres, car le cerveau humain n'aime pas ce qui est compliqué", estime de son côté Anne-Laure Sellier, professeure de sciences comportementales à HEC. "Matilde risque de passer sa vie à se présenter comme Matilde sans H".

Le premier facteur de moquerie à la petite école - un âge important pour la construction de l'enfant - est le nom ou le prénom, souligne Jean-François Amadieu, auteur des "Clés du destin". "Les parents pensent que le choix du prénom est leur affaire. Or c'est l'enfant qui va le porter et les autres qui vont l'utiliser. Le prénom est un tatouage social", relève Anne-Laure Sellier, autrice de "La Science des prénoms".