"Nemmouche, Mehdi, 33 ans, sans profession". Pull bleu marine, carrure athlétique, le principal accusé de la tuerie du Musée juif de Bruxelles n'a prononcé que ces quelques mots, lundi, devant la justice belge. Le procès, celui de la première attaque commise en Europe par un combattant de retour de Syrie, s'ouvrira à proprement parler, jeudi. Jusqu'à fin février, il devrait permettre de retracer l'attentat du 24 mai 2014, commis de sang-froid, en moins de deux minutes. Mais aussi le parcours d'un adolescent "incontrôlable", radicalisé en prison et devenu djihadiste au "mental d'acier".
"Capable du meilleur comme du pire". Né le 17 avril 1985 à Roubaix, dans une famille d'émigrés algériens, Mehdi Nemmouche n'a pas connu son père. Selon les enquêteurs, sa mère n'a "jamais été apte" à s'occuper de son fils, placé à l'âge de 3 mois. En famille d'accueil, près de Lille, l'adolescent, intelligent, obtient un brevet d'études professionnelles. En parallèle, il commet ses premières infractions. Sa vie est instable, entre retours difficiles chez ses grands-parents le week-end et séjours en pension ou dans un foyer parisien d'orphelins. Ses tuteurs le décriront comme "incontrôlable", "capable du meilleur comme du pire".
A 16 ans, Mehdi Nemmouche découvre la prison, pour un braquage au pistolet à billes. Un an plus tard, il retourne vivre chez sa grand-mère, sans sortir de la délinquance. Infractions routières, vols, violences… Après sa deuxième incarcération, sa famille perd sa trace. Une note rédigée à son sujet en 2007 et citée par Le Monde évoque un jeune homme isolé, qui dort parfois dans sa voiture. "Son parcours est émaillé de nombreux problèmes de comportement en réaction à son histoire personnelle et familiale", peut-on y lire. Entre ses 13 et ses 22 ans, le jeune homme commet 22 délits.
Une télévision pour suivre les tueries de Mohamed Merah. La même année, Mehdi Nemmouche quitte le Nord pour la Provence. Il enchaîne les braquages, et les condamnations s'accumulent : entre décembre 2007 et décembre 2012, le jeune homme passe cinq années d'affilée derrière les barreaux. Il nie son implication dans la plupart des faits qui lui sont reprochés. "En 2010-2011, il n'est absolument pas quelqu'un de religieux, ni de près, ni de loin. (...) Il voulait s'en sortir", affirme auprès de Libération son avocate de l'époque, Soulifa Badaoui. Lorsqu'elle le voit pour la dernière fois, au début de l'année 2011, "Mehdi Nemmouche est un jeune homme qui parle de faire des études, qui entame une capacité en droit".
Pourtant, cette longue détention est aussi la période au cours de laquelle les autorités remarquent le "prosélytisme extrémiste" du délinquant. Usant d'un haut parleur, il appelle à la prière collective en prison et évoque ouvertement le djihad, avec des références au "génocide des musulmans de Bosnie", en 1995. Le détenu passe plusieurs mois au "mitard" et voit ses demandes de libération anticipée systématiquement rejetées. En mars 2012, il demande à ce qu'on lui installe la télévision dans sa cellule pour pouvoir suivre les tueries de Mohamed Merah à Toulouse et Montauban, selon un itinéraire retracé par Le Monde.
Lorsque sa grand-mère l'accueille de nouveau, quelques mois plus tard, Mehdi Nemmouche porte la barbe et fait la prière. Du jamais vu pour elle. Très vite, et sans prévenir ses proches, le jeune homme prend la direction de la Syrie, via Londres. Il y rejoint un groupe de combattants étrangers au sein de l'Etat islamique en Irak et au Levant, ancêtre de l'EI.
"Il chantait, il adorait faire des blagues". Le Mehdi Nemmouche de l'époque est raconté par Didier François, détenu comme otage pendant dix mois en 2013, et dont le Français fut l'un des geôliers. "Il était l'un des gardes, chargés de faire en sorte que nous ne nous échappions pas", se souvient le journaliste d'Europe 1. Un gardien "agressif et violent", puis progressivement "curieux, notamment sur la Bosnie, qui était l'une de ses passions". Sa personnalité détonne aussi par des aspects éloignés des commandements du djihad. "Il chantait, ce qui est interdit par l'Etat islamique, il adorait faire des blagues, il imitait des humoristes." L'ancien otage se souvient, aussi, d'un profond antisémitisme. "Il avait une obsession à vouloir imiter ou dépasser Merah."
Mehdi Nemmouche quitte la Syrie en février 2014, passe par la Turquie et l'Asie pour finalement atteindre la France via l'Allemagne. Contrôlé par la douane le 18 mars, il fait l'objet d'une fiche de la DGSI. D'après les factures téléphoniques analysées par les enquêteurs, il reprend alors contact avec Nacer Bendrer, un délinquant rencontré en prison en Provence, également radicalisé. L'homme, co-accusé face à la justice belge, est soupçonné d'avoir fourni une kalachnikov et un revolver à son ancien camarade de détention. Le 24 mai 2014, c'est en tueur "professionnel" que Mehdi Nemmouche se présente dans le hall du Musée juif de Bruxelles : en 82 secondes, il tue un couple de touristes israéliens, une bénévole française et un jeune employé belge.
Une demande de respecter son "intimité". Arrêté quelques jours plus tard en possession de l'arme des crimes, le suspect nie farouchement toute implication. "J'estime que l'Etat est coupable d'avoir mis un innocent en prison", a encore récemment affirmé au quotidien La Dernière heure l'un de ses avocats, Sébastien Courtoy, parlant d'un "piège" tendu à son client. Également mis en examen en France pour son implication présumée dans la détention des journalistes, l'accusé a promis de "collaborer" avec la justice belge lors d'une audience préliminaire à son procès, fin décembre. Mais ses auditions guideront-elles le tribunal vers la vérité ? "Il a un mental d'acier (...), a intégré depuis longtemps les années de prison qu'il risque" et vit cela "de façon incroyablement stoïque", affirme à l'AFP un autre de ses conseils, Me Francis Vuillemin.
"Il n'est pas dans l'introspection, ne veut pas s'exposer dans l'émotion", estime encore l'avocat. Face au tribunal en décembre, Mehdi Nemmouche a ainsi pris la parole à plusieurs reprises pour réclamer que ses proches ne témoignent pas au procès, au nom du respect de "son intimité". Il demandait notamment que l'on dispense sa grand-mère, bientôt âgée de 79 ans, et dont l'audition pendant l'enquête a été "extrêmement difficile".