Ce mercredi, le résistant d'origine arménienne Missak Manouchian et 23 de ses compagnons d'armes vont entrer au Panthéon, 80 ans jour pour jour après leur exécution. Mélinée Manouchian reposera aux côtés de son époux dans ce temple où reposent les grands hommes et grandes femmes de la nation. Une manière de rendre hommage à toute la "résistance communiste et étrangère", a souligné l'Élysée. Mais quels sont les critères d'une panthéonisation ? Europe 1 fait le point.
Qu'est-ce que le Panthéon ?
Le Panthéon est la nécropole laïque des "Grands Hommes", dont la "patrie est reconnaissante" et veut honorer la mémoire. Le monument domine la montagne Sainte-Geneviève, l'une des buttes de Paris. Au départ, il s'agissait d'une abbaye dans laquelle étaient conservées les reliques de Sainte-Geneviève. À la demande de Louis XV, une nouvelle église fut construite entre 1764 et 1790. Lors de la Révolution française, en 1791, l'Assemblée constituante transforme l'église en nécropole nationale : le Panthéon devient alors un temple destiné à "recevoir les grands hommes de l'époque de la liberté française".
En témoigne la devise réinscrite sur le fronton, et toujours visible aujourd'hui : "Aux grands hommes la patrie reconnaissante". Au cours du XIXe siècle, le monument change plusieurs fois de fonction, alternant entre périodes où il est voué au culte, et périodes laïques. Le Panthéon reprend définitivement sa fonction de temple laïc en 1885, lors des funérailles nationales de Victor Hugo.
Qui repose au Panthéon ?
Les grands hommes et grandes femmes politiques, écrivains, scientifiques, résistants... reposent dans la crypte du monument. Voltaire (en 1791), et Jean-Jacques Rousseau (en 1794) font partie des premiers à y entrer. Jean Jaurès, Emile Zola, Marie et Pierre Curry, Jean Moulin... y sont transférés au fil des décennies. Ces dix dernières années, les résistants Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion (en 2015), la femme politique Simone Veil et son époux Antoine Veil (2018), l'écrivain Maurice Genevoix, et la star franco-américaine du music-hall Josephine Baker (2021) ont fait leur entrée au Panthéon. En tout, 81 personnalités y reposent, dont six femmes.
Mais d'autres grands hommes et femmes apparaissent sur les murs du Panthéon, sans que leur corps ou leurs cendres ne soient transférés dans le monument. Plus de 1.000 noms d'écrivains combattants, mais aussi des plaques commémoratives ou des inscriptions sont présents sur les murs du temple. C'est le cas pour l'écrivain et aviateur Antoine de Saint-Exupéry, ou encore pour le poète Aimé Césaire.
Qui décide d'une panthéonisation ?
Cela a évolué au fil des siècles. Au début, en 1791, c'est l'Assemblée constituante qui décide, puis la Convention prend le relais en 1794. Sous le Premier Empire, Napoléon Bonaparte est le seul à accorder une entrée au Panthéon. À partir de la IIIe République, cette décision revient aux députés.
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Depuis 1958 et le début de la Ve République, seul le président de la République peut décider le transfert d'une dépouille au Panthéon. Cela est officialisé par décret publié au Journal Officiel.
Quels sont les critères ?
Seul un critère est inscrit par décret datant du 27 mai 1885 : "Les restes des grands hommes qui ont bien mérité de la patrie y seront déposés". Le "mérite" est donc le seul critère retenu. Mais comme l'écrit La Croix, "l’approbation populaire s’avère une condition officieuse". D'ailleurs, dans le cas de Missak Manouchian, plusieurs pétitions avaient été lancées ces dernières années pour inciter le Président à panthéoniser le résistant.
Peut-on refuser une panthéonisation ?
Oui. Par exemple, en 2009, alors que le Président de l'époque Nicolas Sarkozy souhaitait voir Albert Camus entrer au Panthéon, le fils de l'écrivain a refusé cette proposition, craignant une récupération politique. D'autres, comme le général De Gaulle, ont même refusé une possible panthéonisation de leur vivant.
Des personnalités en sont-elles déjà sorties ?
Cela s'est déjà produit, par exemple après un revirement politique. Le révolutionnaire Mirabeau a par exemple été le premier à entrer au Panthéon, en 1791. Mais trois ans plus tard, il fut également le premier à en être exclu, après des révélations sur ses liens avec Louis XVI. En 1794, Mirabeau est remplacé par un autre révolutionnaire, Jean-Paul Marat. Ce dernier y restera encore moins longtemps, puisqu'il en sera lui aussi exclu quelques mois plus tard, en 1795.
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Pourquoi Missak Manouchian rejoint-il le Panthéon ?
Missak Manouchian, apatride, réfugié en France en 1925, a rejoint la résistance communiste en 1943, où il s'illustre dans les rangs des Francs-tireurs partisans - Main-d'œuvre immigrée (FTP-MOI), un réseau alors très actif à Paris. Arrêté et torturé, il est ensuite livré aux Allemands. Durant son procès, la propagande nazie placarda dans la capitale une affiche avec les photos de dix membres du groupe Manouchian, sur fond rouge, dénonçant "l'armée du crime contre la France". Le 21 février 1944, il est fusillé au Mont-Valérien, avec d'autres membres de son groupe.
Les 23 compagnons de Missak Manouchian ne seront pas inhumés au Panthéon, mais leurs noms seront inscrits au sein du monument. "Ce sera l'entrée au Panthéon de la résistance communiste et étrangère", écrit l'Élysée. Car si huit grands résistants ont déjà été honorés depuis le transfert des cendres de Jean Moulin en 1964, aucun n'était communiste.
"Cela démontre qu'être Français c'est avant tout une affaire de volonté et de cœur", pas "d'origine, de religion ou de prénom", et que "cela apporte beaucoup au pays", ajoute la présidence.
Son épouse Mélinée Manouchian inhumée au Panthéon, une pratique fréquente ?
Mélinée Manouchian, également résistante, reposera aux côtés de son époux, même si elle ne sera pas panthéonisée. Une manière de les unir dans la mort, alors qu'ils reposaient tous deux au cimetière parisien d'Ivry.
Si cela reste une exception, ce n'est pas la première fois qu'un époux ou une épouse entre aux côtés d'une personnalité panthéonisée. Cela s'était déjà produit en 2018, avec Simone Veil, dont l'époux, Antoine, avait aussi été transféré dans le temple, sur demande de la famille. Il en est de même pour Sophie Berthelot, qui a rejoint son époux panthéonisé Marcellin Berthelot, également pour respecter les vœux de la famille.