C'est le fruit de plusieurs mois de travail. Une analyse minutieuse, réalisée avec de nouveaux outils informatiques, à partir de "points d'ancrage" du dossier de Montigny-lès-Metz : 141 pièces comportant une indication de lieu - rue Venizelos, au bord de la voie ferrée -, et de temps - le 28 septembre 1986, entre 12h30 et 19h50. En 2001, la mission a été confiée à une cellule de gendarmes en vue du troisième procès en révision de Patrick Dils, condamné pour les meurtres de Cyril Beining et Alexandre Beckrich. Quinze ans après l'acquittement de ce dernier, le travail de fourmi des enquêteurs a à nouveau été exposé à la justice au procès de Francis Heaulme, devant la cour d'assises de la Moselle, mardi.
Trois enfants, un ballon et un "endroit secret". Mais la technique d'analyse criminelle américaine, révolutionnaire au début des années 2000, semble aujourd'hui un peu désuète. Devant la cour, un diaporama mal lisible reprend les faits minute par minute, avec des petits personnages orange, qui avancent et reculent. Pour qu'ils puissent tous voir l'écran, les jurés ont été placés en quinconce. En guise de conférencier, le major de gendarmerie Thierry Perchat, l'un des militaires chargés de la contre-enquête à l'époque.
Le jour du double meurtre à 15h30, la mère de Cyril Beining "voit son fils avec deux autres enfants, qui disent qu'ils reviennent du canal", commence le gradé. Il s'agit d'Alexandre Beckrich et de David Braas, également témoin dans le dossier. Vingt minutes plus tard, les trois copains jouent au ballon chez David. Puis Cyril et Alexandre décident de rejoindre leur "endroit secret". À 17 heures, "les garçons arrivent sur le talus", près de la voie ferré de Montigny-lès-Metz. Ils y déposent leurs vélos.
Une chronologie précisément établie. Leur dernier signe de vie est identifié à 17h15, lorsque des passants les entendent rire aux abords du talus. De son "avis personnel", Thierry Perchat estime qu'ils ont été tués entre cet horaire et 18h20. Calmement, il énumère les témoignages pouvant éclairer la suite de la chronologie. À 17h30, alors qu'il cueille des mûres, David Braas voit passer un cycliste au maillot coloré. À 18h25, tandis qu'il fait toujours jour, la mère d'Alexandre s'inquiète et se rend chez les parents de Cyril, en quête de nouvelles de son fils. À 18h50, la nuit est tombée et le couple Beckrich monte sur le talus pour chercher les enfants.
L'exposé fait aussi référence à Patrick Dils, revenu de weekend avec sa famille à 18h45 ce soir-là. L'acquitté, qui a reconnu s'être rendu près d'une benne à ordure voisine de la voie ferrée pour y chercher des timbres, n'a "pas pu" commettre les meurtres au vu du déroulé des faits, rappelle Thierry Perchat. À cette heure tardive, les nombreux témoins présents sur la zone l'auraient vu s'approcher du talus. Devant les enquêteurs, Dils a dit avoir entendu des pleurs, et une voix masculine disant "tais toi", aux alentours de 18h55.
Le fantôme de Patrick Dils. Par la voix de son avocat, Serge Beckrich, père d'Alexandre, demande s'il peut prendre la parole. "Quand j'ai dit à ma femme 'tais toi', c'est parce que j'avais entendu un bruit devant", explique-t-il, contestant la chronologie du gendarme et semblant, comme lors de la première semaine du procès, peiner à abandonner la piste Dils. Me Glock, avocate de Francis Heaulme, abonde en s'adressant à Thierry Perchat : "J'ai un peu dans l'idée qu'on trouve d'autant plus facilement quelque chose qu'on le cherche. Et vous cherchiez l'innocence de Dils", glisse-t-elle, accusant les gendarmes d'avoir "sélectionné" les documents qui les intéressaient pour leur analyse. De la "poudre aux yeux".
Dans le box des accusés, le "routard du crime" est dans sa posture habituelle, la tête posée sur son poing fermée. Toujours pâle, toujours tremblant, dans une chemise à rayures verticales grises. Dans une ambiance lourde, le président demande à ce qu'on repasse le diaporama à partir de 16h50. Environ trois heures plus tard, la police découvrait les cadavres des deux enfants, assassinés à coups de pierre le long de la voie ferrée.