Julien, ce jeune homme qui pratiquait la chasse pour la première année avait tiré sur Morgan Keane, 25 ans, alors qu'il coupait du bois chez lui, dans un village du Lot. "J'ai vu une masse sombre bouger, j'ai tiré", concède Julien, la tête basse. "C'est gravé à vie, je suis désolé", a-t-il poursuivi. Le procès du chasseur qui a tiré et du directeur de la battue a débuté jeudi matin devant le tribunal correctionnel de Cahors.
L'accident est survenu le 2 décembre 2020 en fin d'après-midi, alors que la lumière du jour déclinait, dans un hameau du village de Calvignac. Une battue au sanglier était organisée dans un bois proche de la propriété du Franco-Britannique. Le tireur dira qu'il l'a confondu avec un sanglier.
"Un chasseur aguerri n'aurait pas tiré"
L'enquête des gendarmes avait mis en évidence que le tireur était inexpérimenté, ne connaissait pas les lieux et que la battue avait été mal préparée et mal conduite. Ce chasseur a notamment été "posté à un endroit impossible", là où "un chasseur aguerri n'aurait pas tiré" sans bien identifier sa cible, estime Benoit Coussy, avocat du frère de la victime, Rowan Keane, qui s'est constitué partie civile.
Pour Benoit Coussy, il est nécessaire que tous les chasseurs présents ce jour là prennent leurs responsabilités. "On espère un changement profond des mentalités, qu'ils chassent plus loin des maisons. On attend aussi que le directeur de la battue soit condamné, ça permettrait à toute la communauté des chasseurs d'être solidaires les uns des autres et donc de veiller les uns sur les autres pour que ça n'arrive plus", a-t-il déclaré avant d'ajouter "parce que ce qui s'est passé lors de cette partie de chasse, c'est symptomatique de l'absence de communication puisqu'ils avaient vu Morgan et Rowan un peu plus tôt dans la journée et ils se sont bien gardés de le dire aux tireurs."
À la barre, le directeur de la battue se défend et réaffirme avoir bien donné toutes les consignes de sécurité avant de commencer la partie de chasse, tout en concédant qu'il a occupé cette fonction "à contrecœur" puisqu'aucun autre chasseur ne voulait le faire. La Fédération des chasseurs du Lot, qui compte quelque 6.500 adhérents, est également partie civile. Une démarche systématique dans ce genre de procès, précise son président Michel Bouscary.
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La mort du jeune homme avait scandalisé ses proches et des opposants à la chasse dans le Lot, qui ont créé un collectif, Un jour un chasseur, réclamant une évolution de la législation sur la chasse. Peu avant l'ouverture de l'audience, Audrey Tindilière, membre de ce collectif, a assuré à l'AFP que "beaucoup de gens nous soutiennent", et que "80% des gens sont pour des mesures renforçant la régulation de la chasse, pour mieux partager la nature avec les chasseurs".
Le président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) Willy Schraen espère "une condamnation exemplaire". "Les chasseurs qui ne respectent pas les règles élémentaires, on les exclut définitivement de nos rangs. Ca ne doit plus arriver. C'est inadmissible, cette erreur a conduit à la mort d'un homme. Si on ne sait pas sur quoi on tire, on ne tire pas", a-t-il insisté.
Jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende
Jugés pour "homicide involontaire", l'auteur du tir mortel et le directeur de battue, un chasseur expérimenté de 51 ans, encourent jusqu'à trois ans d'emprisonnement, 75.000 euros d'amende, l'interdiction de détenir une arme pendant cinq ans ou le retrait définitif de leur permis de chasse. Pour Audrey Tindilière, il faudrait notamment une meilleure formation des chasseurs et "des peines plus dissuasives". "C'est tout un système qu'on dénonce", explique-t-elle.
Tout en saluant la présence du directeur de battue sur le banc des prévenus, un fait assez rare dans ce genre de procès, Me Coussy a regretté que d'autres chasseurs ne soient pas également jugés pour ne pas avoir alerté de la présence de la victime ou pour avoir quitté les lieux après le coup de feu mortel, sans lui prêter assistance.
90 accidents de chasse en 2021/2022
L'auteur du tir, venu chasser dans le Lot pour la journée depuis le département voisin de l'Aveyron où il réside, est sous contrôlé judiciaire avec interdiction de chasser, de détenir et porter une arme depuis sa mise en examen, le 4 décembre 2020.
En France, le nombre d'accidents de chasse est à la baisse depuis 20 ans, selon l'Office français de la biodiversité (OFB). Néanmoins, pour la saison 2021/22, l'OFB a recensé 90 accidents de chasse, contre 80 la saison précédente. Parmi eux, huit accidents mortels, dont deux concernant des victimes non-chasseurs. Le jugement devrait être mis en délibéré à une date ultérieure.