Municipales : les maires doivent-ils rendre la cantine gratuite à l'école ?

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Plusieurs candidats aux municipales proposent de rendre la cantine gratuite pour les enfants issus de familles défavorisées. Coûteuse et égalitariste, cette mesure est loin de faire l'unanimité.
LE BRIEF

Savez-vous combien d’écoliers mangent à la cantine en France ? Sur les 6.700.000 élèves du primaire, seulement 63% des enfants de primaire se rendent au réfectoire au moins une fois par semaine, selon les chiffres de l'Agence nationale de sécurité sanitaire. Est-ce une question de choix ? Si on regarde les chiffres de plus près, on voit que 40% des enfants de familles défavorisées ne mangent pas à la cantine tous les midis contre 17% seulement pour ceux issus des catégories supérieures.

Les élections municipales ont lieu les 15 et 22 mars et plusieurs candidats proposent la gratuité des cantines dans leur programme. Rendre la cantine gratuite est-il vraiment la solution miracle dans ce domaine ? Le Brief d'Europe 1 a mené sa petite enquête à l'occasion du scrutin.

Le tarif unique majoritaire

Un maire a trois options pour fixer le prix des repas de la cantine : le tarif unique pour tous, la gratuité totale ou la tarification progressive. Selon une étude du Centre national des études des systèmes scolaires (Cnesco) en 2017, le tarif unique concerne 55% des établissements. Le principe est simple : tout le monde paye pareil, riches ou pauvres. "D'un point de vue des inégalités d'accès à la cantine, le tarif unique n'est pas favorable car il est assez moyen. Il n'y a pas une demande très forte adressée aux plus favorisées, et il est évidemment discriminant pour les moins favorisées", explique Nathalie Mons, directrice du Cnesco.

Autrement dit, on pourrait demander plus aux parents les plus riches, alors que c’est déjà trop pour les plus pauvres. "Le fait que les jeunes défavorisés fréquentent beaucoup moins la cantine s'explique par des raisons économiques. Le coût du repas s'établit en moyenne autour de 3,30 euros, ce qui est beaucoup moins que le coût réel. Pouvoir dépenser une telle somme par jour et par enfant représente un sacré budget à la fin du mois."

L'enjeu de la gratuité totale

La deuxième option dont dispose le maire revient à aller vers la gratuité totale et inconditionnelle, une manière d'assurer l'égalité de tous les enfants devant leur plateau. "Comme l'école est gratuite, on peut décider que la nourriture que l'on fournit à l'école est gratuite", avance Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités. C'est d'ailleurs ce qui existe en Suède et en Finlande. 

Les députés de La France insoumise ont déposé une proposition de loi bientôt débattue pour faire de la restauration scolaire un service public gratuit. "Il faut remettre au cœur cet enjeu de la gratuité comprenant la cantine comme un temps très important pour la santé de nos enfants, pour la mise en collectivité et pour que les parents puissent travailler tranquillement", défend Clémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint Denis.

Mais là aussi, il y a des bémols : "La gratuité totale veut dire qu'il y aurait des familles très favorisées qui en profiteraient", souligne Nathalie Mons. "Aller vers une gratuité totale de la cantine ne se justifie pas car ça ferait exploser les coûts." Deux logiques s'opposent : la première selon laquelle la charge de bien nourrir les enfants revient aux parents, et la seconde pour qui cette tâche revient à la société tout entière. 

10 tarifs à Paris

La troisième solution est une sorte de voie intermédiaire entre le tarif unique et la gratuité totale pour tout le monde : la progressivité du prix du repas, avec un tarif qui croit en fonction du revenu des parents. Souvent, cette progressivité est établie selon le quotient familial de la famille de l'enfant scolarisé. Par exemple, à Paris, il y a 10 tranches tarifaires, de 13 centimes pour le quotient familial le plus faible à 6 euros pour les familles les plus aisées

Seulement 45% des établissements scolaires français pratiquent des tarifs modulés en fonction des revenus. "L'idéal est de pouvoir avoir une progressivité de façon à ce qu'il y ait des prix élevés payés par les familles les plus favorisées pour aider à réduire les coûts des familles défavorisées", défend Nathalie Mons. Une solution proche de celle-ci revient à pratiquer des tarifs progressifs, avec un échelon gratuit pour les familles les plus modestes.

" On ne peut pas du tout laisser le choix aux communes parce qu'elles n'ont pas les reins solides "

Il reste un dernier débat : et si finalement, toute cette histoire ne devait plus être du ressort des maires ? C'est précisément ce que proposent les Insoumis : "On ne peut pas du tout laisser le choix aux communes parce qu'elles n'ont pas les reins solides. Soit c'est l'État qui le décide, soit c'est très compliqué pour les collectivités", affirme Clémentine Autain. Une vision à laquelle s'oppose assez logiquement l'Association des maires de France.

Quoi qu'il en soit, c'est une décision importante et un instrument majeur de la politique sociale des communes, dont les futurs maires seront élus dans quelques jours. C'est un véritable débat de société qu'il faudrait avoir sur cette question : "La France est un pays riche et a les moyens de faire manger gratuitement ses enfants dans les cantines. C'est un problème de choix politique", observe Louis Maurin.