"A l'occasion d'une pause, je suis sortie. Il m'attendait. Il m'a plaquée contre le mur, a cherché à m'embrasser, m'a mis les mains sur les seins." Mardi soir, devant le tribunal correctionnel de Paris, Sandrine Rousseau raconte une scène vécue en 2011, lors du congrès du parti Europe écologie Les Verts (EELV), dont elle était à l'époque secrétaire nationale. "C'était extrêmement furtif, je me suis dégagée, je suis partie aux toilettes, flageolante. Puis, je suis revenue à la réunion." Pour la première fois, l'un des récits de "l'affaire Baupin" est prononcé dans une enceinte judiciaire. Sandrine Rousseau n'est pourtant pas sur le banc des parties civiles, mais celui des prévenus.
"Des choses qui sont finalement restées assez discrètes". "C'est un petit peu étrange de se retrouver dans une position d'accusée alors que l'on se sent soi-même victime", pressentait l'ancienne députée écologiste Isabelle Attard, l'une des accusatrices du dossier, interrogée par Europe 1 avant le début du procès. Au printemps 2016, elle faisait partie des femmes, élues ou militantes, ayant témoigné publiquement de harcèlement sexuel ou de tentatives d'agressions sexuelles de la part de Denis Baupin. Jugeant que certains des faits étaient "susceptibles d'être qualifiés pénalement" mais qu'ils étaient "cependant prescrits", le parquet avait classé l'enquête sans suite neuf mois plus tard, fermant la porte à tout procès. L'audience qui se tient depuis lundi devant le tribunal tient à une plainte pour diffamation, déposée par Denis Baupin et visant huit accusatrices et deux médias - France Inter et Mediapart.
"Finalement, puisqu'il l'a choisi ainsi, allons jusqu'au bout", poursuivait Isabelle Attard. "Mettons sur la place publique des choses qui sont finalement restées assez discrètes, consignées aux services judiciaires et à la police." Cinq jours après le début du procès, qui doit s'achever vendredi, la prévision s'avère juste. Après les journalistes des médias poursuivis, les ex-collaboratrices et responsables écologistes se sont succédé à la barre. Et en l'absence du principal intéressé, représenté par son avocat, l'audience, suivie par une dizaine de journalistes, s'est peu à peu transformée en charge contre Denis Baupin.
"Je lui ai dit : 'j'ai l'impression d'être un steak'". À la barre, les plaignantes ont à nouveau décrit les scènes évoquées dans les médias attaqués. "Je sens une caresse sur la nuque. Je me suis raidie. C'était fait par surprise, je découvre que c'était Monsieur Baupin", a ainsi témoigné Laurence Mermet, ancienne subordonnée du cadre écologiste à la mairie de Paris. "Il s'est vraiment jeté sur moi. Je me suis mise à crier. Il m'a dit : 'tais-toi, ta secrétaire va nous entendre'. Cela fait 20 ans, j'en tremble encore", a témoigné Geneviève Zdrojewski, qui fut collaboratrice de Dominique Voynet, alors ministre de l'Environnement, alors que Denis Baupin la conseillait. Et d'ajouter, devant le tribunal : "Ma sœur a téléphoné, je lui ai dit : 'j'ai l'impression d'être un steak'."
Jeudi, l'audience a aussi été le lieu d'une douloureuse introspection d'anciens cadres du parti, qui revendique féminisme et parité. La voix pleine de sanglots, l'ancienne ministre Cécile Duflot, entendue comme témoin, a pour la première fois accusé publiquement Denis Baupin, racontant ses avances dans une chambre d'hôtel de Sao Paulo, où ils se trouvaient pour un congrès mondial des écologistes en 2008. "J'ai été capable de dire à des femmes des choses comme : 'si t'es choquée parce qu'un mec te demande de sucer, franchement, ça nous arrive tous les jours'", a-t-elle ensuite reconnu à la barre, qualifiant d'"énorme erreur" sa "capacité d'encaisser" de l'époque - elle était alors secrétaire nationale des Verts. "Finalement, on était très complaisants avec la violence."
"On se disait qu'on était meilleurs que les autres". "On savait tous et on savait presque tout", a renchérit devant le tribunal l'ancien bras droit de Cécile Duflot, Stéphane Sitbon, également auditionné jeudi. "On se retranchait derrière deux excuses : la première était juridique - tant qu'elles ne portent pas plainte, on ne peut rien faire -, la deuxième, politique : on est un parti féministe, on se disait qu'on était meilleurs que les autres." Rétrospectivement, il a dit porter, comme d'autres, un regard sévère sur son comportement. "Quand on est responsable politique, on doit faire ce que je n'ai pas fait : on a la responsabilité de protéger les militants et les militantes, de faire attention, d'être vigilant."