Lundi après-midi s'ouvre à Paris le procès de l'affaire que l'on a appelée "les suicides de France Télécom". En 2008 et 2009, l'entreprise qui est alors engagée dans un processus de profonde refonte après l'ouverture à la concurrence, voit 35 de ses salariés se suicider et une douzaine d'autres tenter de le faire. Tout cela sans compter les arrêts maladie pour dépression. Aujourd'hui, les dirigeants de l'époque dont le PDG Didier Lombard, doivent répondre devant la justice de harcèlement moral. C'est une première en matière de harcèlement au travail.
La direction l'avait baptisé le plan NExT pour Nouvelle Expérience des Télécommunications. Il s'agissait d'un plan de restructuration guidé par la nécessité de moderniser l'entreprise confrontée à l'ouverture de son marché à la concurrence et à la révolution numérique. L'objectif était d'inciter 22.000 personnes à partir en trois ans, "par la porte ou par la fenêtre", selon la formule malheureuse de l'ancien PDG.
"On nous indiquait que, dans le futur, on ne pourrait plus faire appel à nous"
"On commençait à être convoqués régulièrement chez notre manager qui nous mettait sous pression. Il nous demandait si on voulait partir, si on ne voulait pas créer nous-mêmes notre micro-entreprise, si on ne voulait pas muter vers une autre administration. Mais il n'y avait pas d'autres choix", se souvient Jean Perrin, un ex-salarié, sur Europe 1. Une première étape, à laquelle succède une phase plus violente : "On nous rabaissait, on nous indiquait qu'on était trop vieux, qu'on coûtait trop cher, qu'on n'était plus à la page et que, dans le futur, on ne pourrait plus faire appel à nous parce que nous n'étions plus adaptés à la nouvelle situation que France Télécom voulait engager."
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Et pour ceux qui n'avaient toujours pas compris le message, on faisait appel à une méthode choc. Un autre ancien salarié, Yves Minguy, a lui été privé de travail à faire au bureau pendant 8 mois. "Progressivement, on vous enlève une ligne sur la fiche de poste, une deuxième, un troisième. Petit à petit, vous n'avez plus rien à faire. Quand vous êtes au placard comme ça, vous arrivez le matin et vous inventez quelque chose à faire. Le soir, quand on s'en va, on ferme l'ordinateur et le lendemain on revient. Comme ce qu'on a fait la veille, c'est inutile, le lendemain, ça ne sert plus à rien, on recommence", confie-t-il.
"Je veux que ces gens-là nous demandent pardon"
Ces conditions de stress de plus en plus intenses ont conduit certains à partir en dépression et d'autres à commettre l'irréparable. En deux ans, 35 salariés ont mis fin à leurs jours, dont Robert Perrin qui, un matin, a utilisé le fusil familial pour se donner la mort seul dans sa maison. Il a laissé une lettre à son frère Jean à qui il disait sa détresse au travail. C'était il y a 11 ans. Il avait passé toute sa carrière à France Télécom, s'y sentait comme chez lui jusqu'à ce que tous ses repères professionnels soient balayés par les changements. "La peine est toujours là, elle sera toujours là jusqu'à la fin. Il me manque mais il faut continuer et je veux que ces gens-là nous demandent pardon, à toutes les familles, du mal qu'ils ont fait, qu'ils reconnaissent et qu'ils comprennent qu'ils ont été des salauds", lâche Jean, qui peine à cacher son émotion.
Ce sont donc ces hommes et de nombreux autres anciens salariés ou leur famille qui seront appelés à témoigner durant ces deux mois de procès. Face à eux, l'entreprise en tant que personne morale mais surtout pour la première fois dans les annales judiciaires, son ancien dirigeant et deux de ses plus proches collaborateurs.