L’attaque n’a duré que quelques minutes. Samedi, vers 15 heures, deux voitures de police ont été la cible d’un véritable guet-apens à Viry-Châtillon, dans l’Essonne, tendu par une quinzaine de personnes. Les vitres des véhicules ont été brisées et des cocktails Molotov ont été jetés dans l’habitacle. Pour empêcher les quatre policiers de sortir, les agresseurs ont bloqué les portes de la voiture. Le pronostic vital d’un adjoint de sécurité de 28 ans est toujours engagé. Une gardienne de la paix de 39 ans, mère de trois enfants a également été grièvement brûlée. Les policiers ont été attaqués alors qu'ils montaient la garde devant une caméra de surveillance, censée limiter les vols à la portière sur un rond-point, en face de la cité particulièrement sensible de la Grande Borne. Comment expliquer un tel déchaînement de violences ? L’analyse de Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des questions de délinquance.
Comment interpréter une telle violence pour une caméra de vidéosurveillance qui est censée lutter contre les vols à l’arrachée à un feu rouge ?
Etant donné le nombre d’assaillants et le niveau de violence, je doute que ce "commando" ait fait tout cela uniquement pour pouvoir continuer les vols à la portière. Ce n’est pas logique de prendre autant de risques pour dévaliser une à deux voitures par mois. D’autant qu’ils pouvaient simplement aller sur un autre rond-point ! Soit il s’agit d’un acte à la portée symbolique, pour réaffirmer le contrôle du quartier, soit il y a d’autres éléments en jeu. Je me demande ce que filmait cette caméra qui gênait les délinquants au point de vouloir tuer les policiers.
Cela peut-il être lié au trafic de drogue ?
Un tel déchainement de violences laisse entendre qu’il y avait probablement des intérêts économiques très importants en jeu. Pour coordonner quinze personnes, cela signifie qu’il y a une structure criminelle organisée, ces gens obéissent à une autorité. A la Grande Borne [la cité qui jouxte le rond-point où a eu lieu l’attaque, ndlr], comme dans toutes les cités d’ailleurs, plusieurs types de délinquance cohabitent. Deux logiques totalement opposées s’affrontent : d’un côté, la délinquance désorganisée et très visible - les vols, les agressions, les règlements de compte – de l’autre, le trafic de drogue qui répond à une logique de business. C’est une activité délinquante structurée et hiérarchisée qui nécessite du calme afin de ne pas attirer l’attention des autorités et ne pas faire fuir les clients.
Est-ce que les caméras de surveillance peuvent aider à lutter contre la délinquance ?
Celle-ci semblait, en tout cas, être particulièrement gênante. Depuis son installation l’an dernier, elle a subi de nombreuses attaques. Au point qu’on a été obligé d’envoyer des policiers surveiller cette caméra ! Mais il ne faut pas penser que la délinquance se règlera par la multiplication de mesures sécuritaires. A la Grande-Borne, comme dans d’autres banlieues très sensibles, une multitude de facteurs socio-économiques peuvent expliquer la situation. Ce sont des zones très pauvres, avec un chômage endémique, désertées par les pouvoirs publics… Pour lutter à long terme contre la délinquance, il faut mener une politique globale et ambitieuse sur les banlieues, pas uniquement basée sur des caméras, qui ne font que déplacer le problème dans les angles morts.
Une telle attaque est-elle inédite ?
Ce type de violence est exceptionnel. On n’est pas aux Etats-Unis, les malfrats n’abattent pas les policiers et vice-versa. Mais ce n’est pas non plus inédit. Il y a plusieurs exemples d’affaires dans lesquelles les forces de l’ordre ont été clairement prises pour cible. En 2010, par exemple, lors de l’attaque du casino d’Uriage, en Isère qui avait donné lieu au fameux discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy. Cela reste néanmoins exceptionnel et l’enquête devrait permettre de mieux comprendre les raisons de cette attaque.