La Cour d'appel de Versailles a prononcé en 2019 un divorce aux torts exclusifs d'une femme, au motif qu'elle refusait d'avoir des relations sexuelles avec son mari. La décision a été validée par la Cour de cassation le 18 mars dernier, ce que conteste la femme condamnée, qui a déposé un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme pour "ingérence dans la vie privée" et "atteinte à l’intégrité physique". Laurence Maugier-Vielpeau, spécialiste du droit de la famille et professeur de droit privé à l'Université de Caen, revient sur cette affaire au micro d'Europe 1, samedi.
"Le devoir conjugal n'est pas écrit dans le Code civil"
Cette décision a soulevé immédiatement une controverse. "Les relations sexuelles font partie du mariage dans la mesure où on s'engage à une communauté de vie, ce qui est prévu par le Code civil. A partir du moment où on s'engage à une communauté de vie, elle a été déclinée aussi bien en doctrine qu'en jurisprudence, comme incluant une communauté de toit, intellectuelle et affective, ainsi qu'une communauté de lit qui fait référence aux relations sexuelles. […] Ce devoir conjugal n'est pas écrit dans le Code civil mais il existe néanmoins. Mais une relation sexuelle forcée entre mari et femme est un viol", explique Laurence Maugier-Vielpeau.
"Le devoir conjugal n'est absolument pas écrit dans les textes, parce que ça ne correspond pas du tout à la vision du mariage qu'on a dans le Code civil. Les rédacteurs du Code civil ont voulu rompre avec le droit canonique, qui avait une vision beaucoup plus charnelle des choses. Les rédacteurs du Code civil ont plutôt insisté sur l'aspect volontaire et consentement au mariage. Donc, si on a cette vision, qui est à mon sens est très actuel, il faut aussi consentir dans le mariage à ce qu'on veut", continue-t-elle.
Peut-il ensuite être considéré qu'accepter pour faire plaisir à l'autre revient à consentir ? "Ça se discute. Je n'en suis pas toujours si convaincue, car il y a, dans ce cas-là, un rapport de force. J'ai entendu dans ma pratique des femmes me dire 'j'ai fait ce qu'il fallait parce que, comme m'a dit mon mari, je suis tenue au devoir conjugal et donc je n'ai pas le choix'. Ce sont des discours qui ne sont pas rares et pour lesquels on n'est pas vraiment, à mon avis, dans une relation consentie", avance Laurence Maugier-Vielpeau.
"A partir de quand vont-ils considérer que la relation n'est plus normale ?"
Plus largement, c’est le divorce "pour faute" qui fait débat. "Je ne suis pas du tout favorable à un divorce pour faute dans un tel cas. Car cela reviendrait à ce que les juges se penchent sur l'intimité des couples. A partir de quand vont-ils considérer que la relation n'est plus normale ? À partir de quand cela va constituer une faute ? On part sur des terrains assez dangereux et qui sera difficile à justifier juridiquement", poursuit la spécialiste du droit de la famille.
"Pour qu’il il y ait faute au sens de l'article 242 du Code civil, il faut que la violation grave ou renouvelée d'un devoir du mariage soit imputable au conjoint", rappelle-t-elle. "Peut-on considérer que c'est imputable à un conjoint de ne plus avoir forcément de désir pour l'autre ? C'est aussi un vaste débat."
Selon elle, il faut, dans ces cas-là, plutôt opter pour un "divorce pour altération définitive du lien conjugal", qui est caractérisée par une absence de communauté de vie. "En première instance, le juge aux affaires familiales avait prononcé un divorce pour altération définitive du lien conjugal parce qu'il devait estimer qu'on ne pouvait pas forcément retenir de fautes à l'encontre de l'un ou de l'autre et que finalement, ce divorce pour cause objective était tout à fait sensé", conclut Laurence Maugier-Vielpeau.