Des contrôles d'identité rendus possibles sans motif précis, sur la majeure partie du territoire, sous couvert de lutte contre la préparation de nouveaux attentats ? C'est la perspective que craignent plusieurs associations, alors que l'Assemblée nationale continue d'examiner le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, censé remplacer le régime dérogatoire de l'état d'urgence. Une disposition du texte prévoit en effet l'extension des zones frontalières, où sont facilités ces contrôles. Et pourrait, selon les organismes de défense des droits de l'homme, être principalement utilisée pour lutter contre l'immigration illégale. Décryptage.
Quelle est la particularité des contrôles d'identité frontaliers ?
"Ils peuvent se faire sans motif précis, de manière indifférenciée", explique Serge Slama, professeur de droit public, interrogé par Europe1.fr. "C'est le cas lorsque vous arrivez à l'aéroport, par exemple : un douanier peut vous demander vos papiers sans raison, simplement parce que vous passez là." Sur le territoire français, tous les autres contrôles d'identité doivent se justifier par une raison spécifique. "Un comportement suspect, une infraction, un soupçon d'infraction…", énumère le juriste. "Il n'est pas légal de demander les papiers d'une personne à l'attitude parfaitement paisible."
Comment se déroulent-ils aujourd'hui ?
Quelques heures après les attentats du 13-Novembre, François Hollande a annoncé l'instauration de l'état d'urgence et le "rétablissement du contrôle aux frontières", correspondant en fait à un rétablissement des vérifications aux postes de frontières. Depuis, les prorogations successives du régime d'exception ont renforcé cet état de fait, en dépit des accords de Schengen, "particulièrement à la frontière franco-italienne", selon Serge Slama. C'est notamment le cas dans la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, par où transitent des migrants en provenance d'Italie.
"Mais cette disposition prend fin avec l'état d'urgence, le 1er novembre 2017", souligne le professeur de droit. "On s'apprêtait donc à retrouver le droit antérieur." Celui-ci prévoit la possibilité, si nécessaire, de réaliser des contrôles à l'intérieur des points d'entrée sur le territoire que sont les ports, les aéroports et les gares, six heures par jour, ainsi que sur une bande de 20 km le long des frontières terrestres. "Pour le train, c'est entre la frontière et le premier arrêt suivant, et sur l'autoroute, entre la frontière et le premier péage."
Que prévoit le projet de loi antiterroriste ?
Le texte entend rendre les contrôles possibles "aux abords des gares", ports et aéroports (et non plus seulement à l'intérieur seulement) ainsi que "dans un rayon maximal de vingt kilomètres autour des ports et aéroports" internationaux les plus sensibles, qui devront être désignés par arrêté. Il prévoit aussi de faire passer de six à douze heures la durée maximale du contrôle.
"C'est une extension considérable, notamment dans les villes", réagit Serge Slama. "À Paris, où il y a plusieurs gares, plus les aéroports, toute l'agglomération est concernée, quasiment à toutes les heures de la journée." Cette carte réalisée par la Cimade, association de solidarité aux migrants, montre les 120 points de passage considérés comme "frontaliers", sans matérialisation de la zone des 20 km, donnant une idée de l'étendue de la zone concernée. Selon des calculs effectués par Le Monde, 28,6% du territoire de France métropolitaine et 67% de sa population pourraient être englobés dans cette nouvelle définition, et donc susceptibles de connaître des contrôles.
Pourquoi les associations s'insurgent-elles ?
"Ces contrôles se font indépendamment de toute circonstance extérieure à la personne, ne sont fondés sur aucun critère et peuvent donc facilement couvrir juridiquement des contrôles aux faciès", estime la Cimade, qui a publié un communiqué sur cette disposition. Comme elle, plusieurs associations, à l'instar de la Ligue des droits de l'Homme, estiment que l'argument antiterroriste sert essentiellement une logique de lutte contre l'immigration irrégulière, cheval de bataille affiché d'Emmanuel Macron. "La situation actuelle plaide évidemment pour le maintien des contrôles aux frontières intérieures", avait estimé le président le 5 septembre. "Le renforcement des contrôles prévus par le projet de loi antiterroriste (...) le permettra." Autre argument invoqué par l'exécutif : le risque de voir des djihadistes se glisser dans les flux de migrants, comme cela a été le cas pour les attaques de novembre 2015.
"Le gouvernement essaie de profiter d'un effet d'aubaine", estime de son côté Serge Slama. "L'expérience montre en effet que ce genre d'extension favorise les contrôles au faciès, permettant aux forces de l'ordre de cibler les individus pouvant être en situation irrégulière, à cause de leur âge, de leur style ou de leur couleur de peau. Ce n'est pas le seul motif, ça permettra aussi de lutter contre la petite criminalité, les trafics de drogue, la vente à la sauvette. Mais c'est l'argument principal." Le juriste estime en outre que la loi pourrait être retoquée par la Cour européenne des Droits de l'Homme, "au vu des jugements rendus sur les contrôles d'identité systématiques".
Des accusations vigoureusement démenties au ministère de l'Intérieur, où l'on souligne que "seul un nombre limité de points seront concernés" par la bande des 20 km. "Les contrôles au faciès ne sont pas autorisés", assure-t-on de même source.