C’est une nouvelle étape décisive pour la reconnaissance des enfants nés de GPA qui s’ouvre mardi. La Cour de cassation examine en effet une question épineuse : les membres d'un couple élevant un enfant né de GPA à l'étranger peuvent-ils tous les deux être reconnus comme ses parents légaux ? En juillet 2015, la Cour de cassation avait déjà validé l’inscription à l’état civil d’enfants nés à l’étranger par GPA. Mais la question du parent non biologique n’avait pas été tranchée. Quels sont les enjeux de cette nouvelle audience ? Décryptage.
Que dit la jurisprudence actuelle ?
La loi française interdit toujours la gestation pour autrui (GPA). Mais qu’en est-il des enfants nés à l’étranger d’une mère porteuse étrangère et d’un parent français ? Avant 2015, aucun statut juridique précis n’existait pour ces enfants. Plusieurs couples ayant eu recours à la GPA à l’étranger s’étaient ainsi vu refuser par des tribunaux français la reconnaissance de l’état civil de leur enfant, qui donne le droit à un livret de famille et à la reconnaissance des parents.
Mais un tournant à eu lieu en 2014. La France a en effet été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme, par les arrêts Mennesson et Labassée du 26 juin 2014. Il s'agissait de deux affaires de GPA en Russie. Dans chacune d'elles, un Français avait reconnu la paternité d'un enfant à naître : l'acte de naissance établi en Russie mentionnait l'homme en tant que père et la femme ayant accouché en tant que mère. Mais les tribunaux français avaient refusé de lui accorder l’état civil, au motif que la GPA est interdite en France.
La Cour européenne a jugé que cette décision "portait une atteinte excessive à l’intérêt supérieur de l’enfant et à son droit à la protection de sa vie privée dont l’identité est l’un des éléments". Condamnant la France, la CEDH obligeait ainsi la Cour de cassation française à changer la jurisprudence en vigueur. Ce qu’elle a fait un an plus tard, autorisant ainsi l’état civil des enfants nés de GPA à l’étranger et permettant au père biologique de reconnaître l’enfant.
Pourquoi cette jurisprudence pose problème ?
La précédente décision de la Cour de cassation laissait toutefois une question en suspens : quel est le statut du deuxième parent, le parent non biologique qui participe à l’éducation de l’enfant adopté ? En 2015, les plus hauts magistrats de France avaient pris soin de préciser que leur décision ne réglait pas la question de ce parent dit "d'intention". "On reste au milieu du gué, c’est un arrêt très en retrait. La question est repoussée, l’enfant était privé des deux parents, là il est privé que d’un seul", commentait alors Laurence Brunet, juriste Spécialiste en droit de la famille, cité par Slate. La Cour laissait ainsi la possibilité aux parquets de casser un acte de naissance, si un nom autre que celui du père et/ou de la mère biologique apparaissait dessus.
Et dans la pratique, cela a donné lieux à de multiples décisions contradictoires. "Certains tribunaux ont validé l'adoption d'un enfant né d'une GPA par un parent non biologique, d'autres l'ont refusée. Dans les cas où cela a été validé, le parquet a parfois fait appel, parfois non. En l'absence d'une jurisprudence claire, cela dépend de qui prend la décision", résume l'avocat Fabien Guillaume Joly, contacté par Europe 1.
Or, faute de reconnaissance du lien de filiation, le "père d'intention" est "considéré comme un étranger" en cas de décès du père biologique ou de séparation, et ce malgré des années de vie familiale commune, souligne à l'AFP Me Patrice Spinosi, avocat d’un homme qui demande à pouvoir adopter un jeune garçon né de GPA.
Quelles sont les nouvelles affaires examinées à partir de mardi ?
La Cour de cassation n’a désormais plus le choix : elle va devoir s’exprimer sur le statut de ce "père d’intention". La première chambre civile de la Cour de cassation examine en effet à partir de mardi plusieurs affaires. L'une est particulièrement emblématique : elle concerne un garçon âgé de dix ans, né d'une GPA en Californie, puis élevé en France par un couple d'hommes. Cet enfant a été reconnu aux Etats-Unis par la femme qui lui a donné naissance et par son père biologique. Son acte de naissance a été transcrit au registre de l'état civil français. Le conjoint du père biologique a ensuite formulé une demande d'adoption simple, faisant valoir qu'il s'est occupé du garçon dès sa naissance, en particulier en prenant un congé parental de plusieurs mois. L'enfant est par ailleurs connu dans la vie courante sous les noms des deux hommes, en couple depuis 2001, pacsés depuis 2004 et mariés depuis 2013.
La demande d'adoption a toutefois été rejetée, en première instance comme en appel, ce qui a fait remonter l'affaire jusqu'à la plus haute juridiction française. La Cour de cassation a désormais le choix entre "une approche légaliste, qui est l'interdiction de la GPA à tout crin; et une approche pragmatique, avec pour guide l'intérêt de l'enfant et la prise en compte de la réalité de la vie familiale", résume Me Patrice Spinosi.
Dans une autre affaire examinée mardi, un couple hétérosexuel demande la transcription en France de l'état-civil établi en Ukraine pour ses jumelles, nées d'une GPA. L'acte de naissance porte le nom des deux parents français et non celui de la mère porteuse. Ce qui a été cassé par les tribunaux. En droit français, en effet, la mère est la femme qui accouche. Ne peut donc être la mère "d'intention" celle qui souhaite fonder une famille et qui élève l'enfant. L'avocate Françoise Thouin-Palat, a dénoncé une situation "absurde": les fillettes, nées en 2011, se retrouvent orphelines de mère, avec leur père pour seul parent légal.
La première chambre civile de la Cour de cassation, si elle accepte la requête des parents, devra ensuite dire sous quelle forme cette filiation sera établie : par transcription d'un état civil établi à l'étranger, ou par la voie de l'adoption.
Que va décider la Cour ?
La décision de la Cour de cassation est attendue pour le 5 juillet prochain. Et pour l’heure, il est difficile d’anticiper ce que vont décider les plus hauts magistrats du pays. En 2015, s’ils avaient accepté de reconnaître l’état civil d’un enfant né de GPA à l’étranger, c’est uniquement sous la pression de la CEDH. Or, cette dernière s’était exprimée sur des cas où seul le père biologique demandait à adopter l’enfant.
L’affaire n’est pas pour autant perdue pour les parents. En effet, la CEDH avait tout de même fait de "l’intérêt concret de l’enfant" un principe à toute décision. La Cour de cassation pourrait donc se servir de cet argument pour autoriser le parent d’intention à adopter. Et éviter que l’enfant ne se retrouve seul si le parent biologique venait à décéder.