Pour le public, l'affaire Grégory a brusquement refait surface mercredi, lorsque trois membres de la famille Villemin ont été placés en garde à vue, plus de trente-deux ans après les faits. Mais en coulisses, les enquêteurs remontent chaque piste depuis des années, dans la plus grande discrétion. Une cellule d'enquête, "Recherche 21", travaille à temps plein sur le dossier, à Dijon et en région parisienne. Des gendarmes qui s'appuient notamment sur un "super-logiciel", AnaCrim, capable d'analyser des centaines de pièces de procédure, à la recherche de failles dans des affaires non élucidées.
- Comment fonctionne AnaCrim ?
Depuis une dizaine d'années, le logiciel est utilisé par le Service central du renseignement criminel (SCRC) et toutes les unités de recherche de gendarmerie. Le principe : entrer tous les éléments d'enquête (lieux, heures, témoignages…) dans une base de donnée pour qu'elle établisse une chronologie des faits, dans le temps et l'espace. Un travail fastidieux qui nécessite de se replonger dans des dossiers parfois anciens et dans lesquels des centaines de personnes ont pu être entendues. "Dans chaque document, les analystes vont retranscrire minutieusement tous les éléments constatés par les enquêteurs sur le terrain ou les détails figurant dans une audition", explique le colonel Didier Berger, chef du Bureau des affaires criminelles de la gendarmerie, auprès du Parisien. "Cela peut-être la précision d'une conversation, le lieu et l'heure où un témoin déclare avoir été, etc…"
- À quoi sert-il ?
À apporter une vision globale et plus complète que celle des enquêteurs, pour déceler d'éventuelles failles ou incohérences dans un témoignage "en mettant en face des interrogatoires, en regardant si les heures qui sont signalées à tel ou tel moment sont bien les bonnes", énumère le journaliste Matthieu Aron, qui a longtemps suivi l'affaire Grégory, interrogé par BFMTV. La technique est particulièrement utile pour les "cold case", dans lesquels l'enquête patine : la moindre irrégularité relevée par l'ordinateur peut permettre de réorienter les gendarmes vers une piste nouvelle ou abandonnée. Les résultats obtenus par AnaCrim peuvent aussi faire basculer le déroulement d'une garde à vue, mettant un témoin face à un propos flou ou contradictoire qu'il aurait tenu.
Le logiciel peut en outre permettre d'établir des liens entre différents dossiers, en identifiant des similitudes dans les modes opératoires, par exemple. C'est ainsi que les gendarmes ont remonté la piste d'Arnaud Hopfner, surnommé "le routard du viol" et condamné à dix-huit dans de prison en 2016, relève La Dépêche.
- Quel rôle le logiciel a-t-il joué dans l'affaire Grégory ?
Difficile à dire pour l'instant. Dans ce dossier, les principales exploitations scientifiques menées depuis le début des années 2000, à savoir l'ADN sur les cordelettes et les enregistrements téléphoniques du Corbeau, se sont révélées infructueuses. C'est probablement pour cela que les gendarmes se sont tournés vers AnaCrim et l'analyse par ordinateur. Pour la seule affaire Grégory, trois personnes ont été mobilisées pendant plus de six mois pour rentrer les 12.000 pièces de procédure dans le logiciel.
Dans un communiqué, le parquet général de Dijon a indiqué mercredi que le travail "méticuleux" réalisé dans le cadre de l'analyse criminelle avait "permis de recueillir ou de confirmer des éléments, dont certains avaient déjà attiré l'attention des enquêteurs et des magistrats dans le passé, sans pouvoir être véritablement exploités". Une formule qui pourrait faire référence à AnaCrim. Mais le même communiqué évoque aussi de nouvelles "comparaisons en écriture menées au regard des évolutions les plus récentes dans la discipline", qui auraient pu mener les enquêteurs vers le fameux "corbeau".