"Créer un champion européen à vocation mondiale dans l'intelligence artificielle". À travers ces mots, Arthur Mensch, patron de Mistral AI, confirme et assume les ambitions débordantes de la startup qu'il a cofondée. Désormais valorisée à 2 milliards de dollars après la levée de fonds de ce week-end, estimé à 385 millions d'euros, l'entreprise française s'affiche parmi les places fortes de l'intelligence artificielle en Europe, aux côtés de l'Allemande Aleph Alpha. Au point d'en faire un concurrent crédible aux locomotives américaines du secteur que sont OpenAI, fondatrice de ChatGPT ou encore Google, père de Gemini ?
"Leur business model n'est pas celui d'une concurrence directe avec OpenAI. La philosophie est différente. Il s'agit plutôt de fournir aux différentes organisations des briques pour qu'elles puissent utiliser l'intelligence artificielle afin de concevoir des services nouveaux, innovants et efficients", répond Maxime Moffront, consultant senior chez Rhapsodies Conseil et spécialiste de l'IA. Imaginé par Arthur Mensch, Guillaume Lample et Timothée Lacroix, trois experts français de l'IA, formés à l'X ou à l'ENS, Mistral AI propose, tout comme ChatGPT, un langage dédié à la génération de texte.
Utilisable sur un ordinateur "grand public"
Mais la startup française présente également d'importantes différences avec son homologue américain. Les modèles d'IA qu'elle fournit proposent à la fois une gestion des données spécifiques à l'entreprise qui souhaiterait utiliser cette intelligence artificielle, mais aussi une utilisation sur des ordinateurs classiques, par tout un chacun. "Le modèle Mistral 7B, on peut le télécharger. Il pèse à peu près 13,5 gigaoctets et pourrait être utilisé sur un ordinateur grand public sans trop de problème, ce qui n'est pas possible avec ChatGPT", éclaire Maxime Moffront.
>> LIRE AUSSI - Qu'est-ce que MIA, l'intelligence artificielle disponible pour les élèves de seconde dès la rentrée prochaine ?
De leur côté, les entreprises qui voudraient se munir de cette solution d'intelligence artificielle auront ainsi le loisir d'entraîner le modèle de Mistral AI pour répondre à leurs besoins et usages spécifiques. Une prouesse rendue possible par la taille réduite de cette intelligence artificielle, par rapport au mastodonte ChatGPT. "Avec Mistral AI, on a environ 7 milliards de paramètres, contre 144 milliards pour ChatGPT. Et c'est ce qui fait la force de ces modèles. Cela leur permet d'être utilisés sur des machines qui demanderont beaucoup moins de ressources et d'être directement entraînés sur les données des entreprises", indique Maxime Moffront.
Pour aboutir à un tel niveau de finesse technologique, la startup a pu s'appuyer sur le pedigree de ses membres fondateurs. Arthur Mensch a ainsi aiguisé sa connaissance du sujet au sein du laboratoire Deepmind de Google, tandis que Guillaume Lample et Timothée Lacroix ont fréquenté Fair, celui du groupe Meta, maison mère de Facebook et Instagram. "Chez Meta, on a un certain Yann Le Cun, qui est l'un des grands penseurs de l'intelligence artificielle. Même si l'on parle relativement peu de Meta auprès du grand public pour toute la partie intelligence artificielle, l'entreprise en est vraiment l'un des acteurs majeurs", rappelle Maxime Moffront.
Xavier Niel, partie prenante du projet
Mistral AI compte, par ailleurs, sur l'appui de Cédric O en tant que "conseiller co-fondateur" de l'entreprise. Un soutien qui assure à la startup "un lobbying assez fort sur la politique de la France et de l'Europe en matière d'intelligence artificielle", dans la mesure où l'ex-secrétaire d'État en charge du numérique est également membre du Comité interministériel sur l'IA générative créé en septembre par Elisabeth Borne.
>> LIRE AUSSI - Israël-Hamas : comment l'Etat hébreu utilise l'intelligence artificielle pour maintenir la pression sur Gaza
Enfin, le trio fondateur doit la réussite de l'entreprise à ces deux levées de fonds successives : celle du week-end dernier, mais aussi la première, réalisée en juin dernier, et qui a permis à Mistral AI de dégager 105 millions d'euros. Un financement auquel ont participé plusieurs personnalités, dont Xavier Niel, fondateur de Free et très sensible aux questions de souveraineté européenne en matière d'intelligence artificielle. Rodolphe Saadé, le patron de CMA CGM, ainsi que l'ex-PDG de Google, Eric Schmidt ont, eux aussi, posé leur pierre à l'édifice. Partie prenante de l'intelligence artificielle outre-Atlantique, le groupe Nvidia, spécialiste mondial des puces pour supercalculateurs, s'est également greffé au projet Mistral AI, confirmant ainsi la crédibilité et l'intérêt suscité par l'entreprise tricolore auprès des acteurs de la Silicon Valley.