"Mentor de plusieurs générations de djihadistes", "prédicateur et djihadiste molenbeekois", "parrain du djihadisme belge"... Mercredi, l'annonce de l'arrestation de Bassam Ayachi a fait les gros titres de la presse belge. L'imam radical, âgé de 72 ans, a été interpellé dans le département du Nord, en France, fin mars. Il est soupçonné d'avoir récemment séjourné en Syrie et d'y avoir côtoyé des djihadistes français. Mais c'est de l'autre côté de la frontière, et particulièrement à Bruxelles, que le septuagénaire s'est fait un nom : guide spirituel de terroristes pour les uns, simple islamiste nationaliste pour les autres, le "Cheikh" Ayachi est cité dans de nombreux dossiers.
Une famille "religieuse". "Je suis descendant d'une famille religieuse, de la famille du prophète", explique le principal intéressé dans le documentaire "Au nom du père, du fils et du djihad", diffusé en 2016 sur France 2. Né en Syrie, Bassam Ayachi considère qu'il était "obligé" de vivre l'exil. "Je me suis retiré pour aller en France à la fin de l'année 1968." Là, l'homme entame des études et rencontre l'une de ses épouses, française. Il acquiert la nationalité et s'installe avec elle dans le sud. Le couple a cinq enfants, tous élevés dans l'observance d'un islam radical.
En 1996, la famille quitte la France pour la Belgique et le quartier de Molenbeek, vingt ans avant qu'il ne soit présenté comme un foyer de radicalisation islamiste. Bassam Ayachi prend la tête du Centre islamique belge (CIB), qui sera interdit par la justice en 2012. Il y enseigne les principes religieux aux enfants du quartier, dont beaucoup seront recrutés pour partir faire le djihad au Pakistan ou en Irak. Au sein du CIB, l'imam marie aussi religieusement le futur assassin du commandant Massoud. Devant les caméras de télévision belges, il répond aux accusations sur "son" islam, comme le montrent des archives de la RTBF : "certainement qu'il est radical. Mais c'est par rapport aux autres, qui veulent un islam laïc."
Quatre ans de prison en Italie. En 2008, Bassam Ayachi et Raphaël Gendron, autre responsable du CIB, sont arrêtés en Italie en compagnie de trois Syriens, qu'ils sont accusés d'avoir aidé à entrer sur le territoire. Emprisonnés à Bari, les deux hommes sont placés sur écoute. Dans des enregistrements de mauvaise qualité, les enquêteurs croient déceler les mots "djihad", "Paris", "aéro" et "De Gaulle", retrace Le Monde. Ils pensent que la cellule prépare un attentat contre l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle. L'avocat d'Ayachi argue que le mot "goal" a bien été prononcé après… un but à la télévision. Après quatre ans de prison, les deux hommes sont blanchis. L'Italie les indemnisera plus tard pour leur détention.
Entre temps, Abdelrahman, l'un des fils de Bassam Ayachi a rejoint la Syrie pour combattre le régime de Bachar al-Assad, au nom du djihad. Il y prend la tête d'une brigade islamiste, les Faucons du Sham, et meurt au combat. En 2013, son père part à son tour, assurant avoir les mêmes motivations. "J'ai 70 ans mais je suis prêt à me battre encore", explique-t-il dans une interview à la Libre Belgique, en 2015. "Abou Bakr al-Baghdadi (le calife de Daech, ndlr) et son armée sont des salopards de première catégorie, de vrais coupeurs de têtes et des falsificateurs de l'islam. (...) Si je suis venu ici, c'est pour aider un peuple qui est en train de souffrir", affirme-t-il.
"Un turban, une barbe, la tête de l'emploi". En Syrie, Bassam Ayachi est "juge de paix dans la région d'Idlib" et "tient à égale distance les partisans d'Al-Qaïda et ceux de Daech", selon Stéphane Malterre, réalisateur d'"Au nom du père, du fils et du djihad", interrogé par Téléobs. L'imam perd un bras dans un attentat qu'il attribue à Daech. Il continue d'être suivi à distance par les services de renseignement européens. On ne sait pas précisément à quelle date il est revenu sur le sol européen.
Aujourd'hui, la justice française s'intéresse particulièrement aux liens entre le Cheikh et un djihadiste français, revenu lui sur le territoire national début mars. Quelles étaient les relations précises entretenues par les deux hommes ? À défaut d'y participer, Bassam Ayachi a-t-il pu encourager le passage à des actions violentes ? Si oui, lesquelles ? L'enquête devra le démontrer. "Il n'y a jamais eu la moindre preuve" contre l'imam, affirmait en 2012 son avocat Sébastien Courtoy. "Le problème de mon père, c'est qu'il a la tête de l'emploi", renchérit l'une des filles du septuagénaire auprès de la Libre Belgique. "Un turban, une barbe. C'est un homme qui dérange".