Le mois du ramadan a commencé depuis lundi. Et pour les musulmans pratiquants, ce mois est synonyme de jeûne, du lever du soleil jusqu'à son coucher. Comme pour la précédente Coupe du monde de football, le ramadan tombe cette année pendant une grande compétition sportive : l'Euro 2016. Mais comment respecter ce pilier de l'islam lorsqu'on est un footballeur de haut niveau ? Eléments de réponse.
"C'est compatible. Des joueurs professionnels musulmans, il y en a plein. Certains vivent même le jeûne et leur spiritualité comme une force", assure Nicolas Vilas, journaliste et auteur de Dieu football club, contacté par Europe 1. "Abou Diaby, par exemple (ex-international français, actuel milieu de l'Olympique de Marseille), avait d'abord fait le choix de ne pas jeûner lorsqu'il jouait. Mais il culpabilisait, et il a désormais décidé de ne plus rompre le jeûne les jours de matches. Il soutient depuis qu'il se sent mieux, que ça le rend même meilleur", poursuit le journaliste.
" Une période où le risque de blessures augmente "
En général, les joueurs évitent de communiquer sur ce sujet. Le service presse de l'Equipe de France assure simplement que le ramadan ne pose "aucun problème" pour la compétition, malgré la présence de joueurs pratiquants dans l'équipe (Paul Pogba, Bacary Sagna et Ngolo Kanté). "C'est une question d'ordre privé, nous ne communiquerons pas là-dessus", indique-t-on du côté des Bleus. Selon les informations de l'Equipe, aucun des joueurs de Didier Deschamps ne jeûnera, en tout cas pendant la durée de la compétition. Du côté des sélections albanaises et turques, les entraîneurs pratiqueront le "cas par cas", en fonction du degré de croyance des joueurs, nous apprend le quotidien sportif.
>> Sur son compte Instagram, Paul Pogba, en photo dans une salle de prière, a souhaité un "bon ramadan à (s)es frères et sœurs", accompagnant son message d'un petit mot sur le mois sacré des musulmans (dans lequel le jeûne n'est pas évoqué) :
Pour concilier sa foi et une pratique sportive de haut niveau, plusieurs méthodes existent. Comme Abou Diaby, certains joueurs pratiquent strictement le jeûne. En 2014 par exemple, cinq joueurs de la sélection algérienne avaient pris une telle décision. Ce qui a obligé le staff à concocter une préparation sur-mesure, notamment pour éviter la déshydratation. "C'est une période où le risque de blessures augmente, notamment au niveau des lombaires, des articulations et des muscles", indiquait Hakim Chalabi, le docteur qui suivait la sélection algérienne, cité à l'époque par Europe 1. "Le niveau de nutrition doit changer. Il faut aussi modifier la qualité des aliments, afin de s'adapter à l'exercice. Les joueurs doivent mieux s'hydrater. Nous leur conseillons en outre d'allonger la durée de leur sieste pendant l'après-midi, afin de récupérer une partie de leur temps de sommeil" perdu lors de la rupture du jeûne, détaillait-il.
" Ce qui peut vraiment poser problème, c'est l'hydratation "
D'autres, en revanche, décident de reporter le jeûne et/ou de le compenser par des dons et des bonnes actions. Dans le Coran et les textes fixant le droit musulman, de telles dispenses sont en effet prévues pour les malades, les personnes âgées, les femmes enceintes mais aussi pour les voyageurs. Et selon certains, ces dispenses peuvent s'appliquer aux travaux pénibles et donc aux sportifs de haut niveau, surtout lorsque les matchs sont en plein été et que la nuit arrive tard, comme ce sera le cas pour l'Euro (lors du Mondial au Brésil, la nuit tombait tôt, aux alentours de 17h30). Le Bleu Bakary Sagna avait d'ailleurs annoncé, lors de la dernière Coupe du monde, qu'il choisirait cette option, tout comme le meneur de jeu allemand Mezut Ozil a déjà fait savoir qu'il reportera son jeûne cette année.
Bon mois du ramadan à tous les musulmans! Que la paix soit dans vos coeurs. pic.twitter.com/RdQl1k7Lmb
— Bacary Sagna (@Sagnaofficial) 6 juin 2016
"C'est la méthode la plus simple et la plus utilisée : le joueur demande à son imam s'il peut reporter le jeûne. Et généralement, le joueur respecte le jeûne avant la compétition, puis il rattrape les jours non jeûnés après la compétition. C'est une affaire privée, c'est au joueur de gérer et de faire en sorte que son jeu n'en pâtisse pas. En Equipe de France, j'ai connu quelques pratiquants (Ribery par exemple). Mais le ramadan n'a jamais été un problème", explique à Europe 1 Jean-Pierre Paclet, médecin de joueurs, qui s'est notamment occupé des Bleus de 2004 à 2008. "Ce qui peut poser vraiment problème, c'est l'hydratation. Le jeûne interdit aussi de boire. Dans certains pays musulmans, le report du jeûne n'est pas forcément 'autorisé'. Il y a donc aussi des aménagements. Les joueurs jeûnent, mais les interdictions sont un peu plus souples, au Maroc par exemple. Mais je n'ai jamais entendu parler de joueurs qui se privaient totalement de boire", poursuit le médecin.
" Le joueur professionnel a le droit de rompre le jeûne "
Théologiquement, la question n'est pas complètement tranchée, surtout pour les joueurs qui ne voyagent pas. Pour les voyageurs, les reports de jeûnes sont autorisés (pour rappel, Pogba, Sagna et Kanté n'habitent pas en France, ils peuvent donc, en théorie, entrer dans cette catégorie). Mais pour les autres… "Dieu demande à ce qu’on préserve sa santé. L’islam n’est pas une religion qui vise à faire souffrir les musulmans. (…) Il y a plein d’exemptions de jeûne", explique Dalil Boubakeur, recteur de la Grande mosquée de Paris, dans une interview à Saphir News. Mais ces exemptions touchent-elles les sportifs de haut niveau ? "Nous n’entrons pas dans le débat de savoir s’ils doivent jeûner ou non. S’ils le veulent et qu’ils le peuvent, qu’ils le fassent ; s’ils ne le font pas, c’est entre le joueur et le Seigneur qui jugera. Mais le joueur devra remplacer chaque jour manqué par un autre en cas d’impossibilité", poursuit le recteur de la Grande Mosquée de Paris dans une réponse ambiguë.
Egalement citée par Saphir News, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) avait, en 2012, à l'occasion des Jeux olympique, émis un avis bien plus tranché : "même si les JO sont un événement exceptionnel pour l’athlète, ce n’est pas une excuse valable pour ne pas jeûner". Le Conseil central des musulmans en Allemagne avait, lui, annoncé une décision contraire en 2010. La Mosquée Al-Azhar du Caire, l'une des plus éminentes autorités musulmanes, autorise elle aussi les joueurs "professionnels" à reporter leur jeûne. "Le contrat de travail conclu par le joueur et le club oblige le joueur à maintenir un certain niveau de performance. Et lorsque son travail, régi par contrat et constituant sa seule source de revenu, l'oblige à jouer en période de ramadan et que le jeûne a une influence sur sa performance, alors il a le droit de rompre le jeûne", selon la décision des hautes autorités de la mosquée égyptienne citée par France 24.
Interrogé en 2014 sur la question lors d'une conférence de presse, l'entraîneur des Bleus, Didier Deschamps, avait pour sa part prôné la souplesse. "Je n’ai rien à ordonner à mes joueurs. On respecte la religion de tout le monde. Les joueurs ont l’habitude. Je n’ai aucune inquiétude, et chacun s’adaptera à la situation", avait-il détaillé. Seuls impératifs : que personne n'en parle, et que cela n'influe pas, bien entendu, sur la prestation sportive. "La plupart des entraîneurs aujourd'hui font preuve de souplesse, ils font du cas par cas. Mais la discrétion reste la norme. Politiquement, la question est sensible. Et les instances dirigeantes du foot français ne partagent pas toutes cette souplesse", résume le journaliste Nicolas Vilas.