Identifiés dans un audio enregistré à leur insu, les policiers de la Brav-M ayant menacé et humilié sept jeunes interpellés à Paris, fin mars, ont plaidé "la fatigue physique et morale" après une longue journée de maintien de l'ordre. Dans la nuit du 20 au 21 mars, leur équipage, la "Brav Mike 4", est en opération dans le IIIe arrondissement de la capitale. Depuis l'adoption de la réforme des retraites par l'article 49.3, les rues de la capitale sont le théâtre de cortèges sauvages avec des incendies de poubelles et des rues obstruées par des barricades de fortune.
Sur les indications d'un capitaine de police, un équipage de la Brigade de répression de l'action violente motorisée (Brav-M) interpelle un groupe de sept jeunes soupçonnés d'avoir pris part aux dégradations et les regroupe à l'angle des rues du Béarn et des Minimes. C'est à cet instant que l'un des interpellés enregistre discrètement les policiers. L'audio, révélé le 24 mars par Le Monde et Loopsider, suscite un tollé et débouche sur l'ouverture de deux enquêtes, administrative et judiciaire, confiées à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). Avant d'être entendus par la "police des polices", les policiers mis en cause ont rédigé des rapports à leur hiérarchie, consultés par l'AFP, dans lesquels ils livrent leur version des faits.
"Nos besoins fondamentaux et vitaux n'ont pas été respectés"
Selon le gardien de la paix Yann C., l'unité a commencé son service à 10H30. Il est 23H00 passé quand ils sont enregistrés. "La fatigue physique et morale était à son seuil le plus élevé, nous contraignant à agir bien au-delà de nos capacités", écrit le brigadier Benoît A. Le gradé décrit "des vacations de 14 heures, voire 16 heures" durant lesquelles "nos besoins fondamentaux et vitaux n'ont pas été respectés, s'hydrater et se restaurer était très compliqué", écrit-il. "Certains d'entre nous, moi inclus, ont dû prendre des médicaments afin de bloquer leur transit intestinal car il était impossible d'accéder et d'avoir le temps de se rendre aux toilettes", ajoute-t-il. "A bout", "de plus en plus fatigué et irritable", "à fleur de peau", le policier Pierre L. reconnaît qu'il n'a pas agi "avec le professionnalisme habituel".
>> LIRE AUSSI - Retraites : un journaliste porte plainte à l'IGPN, accusant la BRAV-M de "violences"
C'est lui qu'on entend lancer à l'un des interpellés: "C'est le premier qui bande qui encule l'autre?". Le fonctionnaire n'y voit "aucune connotation sexuelle" mais "un combat de coqs verbal". Il ne voulait pas "laisser l'individu se sentir supérieur et gagner cette joute". L'homme interpellé s'appelle Souleyman et concentre les attaques des policiers. La quasi-totalité des membres de l'équipage, comme le gardien de la paix Victor L., expliquent leur comportement en réaction à "son arrogance et ses provocations dans son ensemble". "Tu as pleuré comme une fillette", le moque le brigadier Benoît A. Une remarque sexiste "maladroite", reconnaît-il après coup.
"Décompresser"
Concernant la gifle que Souleyman dit avoir reçue, à laquelle un claquement audible dans l'enregistrement peut correspondre, Pierre L. assure avoir simplement agi en le "repoussant par le visage". "Tu en reveux peut-être une pour te remettre la mâchoire droite ?", l'entend-on dire dans l'audio. Souleyman, étudiant tchadien de 23 ans, est installé en France depuis quatre ans. Le policier Yannis A. ironise sur son voyage et se demande s'il s'est "accroché à l'aile de l'avion". Une manière, affirme-t-il dans son rapport, de "décompresser sur les propos incohérents de Souleyman". "Demain tu as une OQTF (obligation de quitter le territoire, ndlr) et c'est fini", lui lance aussi le policier Théo R. Ce n'était pas "une intimidation", écrit-il, mais "pour l'informer des risques judiciaires".
Et quand il apprend que le jeune homme habite Saint-Denis, le même s'amuse : "Ca tombe bien on y va mercredi, on va le retrouver". "Je voulais dire par là, vu que c'est son lieu d'habitation, et que nous y sommes parfois, il n'est pas impossible que nous croisions son chemin, sans pour autant dire que nous allons le harceler", justifie-t-il. Depuis les faits, les agents concernés ne sont plus affectés aux opérations de maintien de l'ordre, mais n'ont pas été suspendus. "Je pense que cette enquête-là sera menée assez vite", avait déclaré le préfet de police Laurent Nuñez, dimanche. "Je le souhaite pour pouvoir prendre des décisions administratives le cas échéant."