Les futurs bacheliers devront davantage plancher à l’oral. Pierre Mathiot, ex-directeur de Sciences Po Lille, mandaté par le gouvernement pour élaborer la future réforme du baccalauréat, présente mercredi ses propositions, obtenues après avoir réalisé plus de 100 auditions de syndicats d'enseignants, fédérations de parents d'élèves ou associations de professeurs. Et parmi les principales pistes : la création d’une épreuve orale, dont le résultat comptera pour 15% de la note finale. La réforme doit entrer en vigueur en 2021. Ce qui laisse peu de temps pour revoir l’ensemble des pratiques d’un système encore beaucoup tourné vers l’écrit.
En quoi consiste la piste proposée par Pierre Mathiot ?
Pour l’heure, le baccalauréat fait la part belle à l’écrit, l’oral étant réservé aux épreuves de rattrapage, à certaines options et à l’une des deux épreuves de français, en première. À l’avenir, l’oral devrait compter pour 15% de la note finale. Cet oral pourrait, selon plusieurs sources, porter sur plusieurs matières interdisciplinaires, par exemple une majeure et une mineure. En clair, il s’agirait de plancher sur une question, un texte ou des documents croisant plusieurs matières, mais en rapport avec un thème étudié toute l’année.
Ce "grand oral" devrait durer 30 minutes. Il pourrait être préparé de manière collective, même si l'épreuve serait passée individuellement. Deux professeurs du lycée des candidats et une personne tierce – qui pourrait être un Conseiller principal d'éducation, par exemple - seraient chargés de le faire passer. Les élèves des actuelles filières générales et technologiques seraient concernés par cette épreuve, qui devrait avoir lieu au mois de juin.
L’oral est déjà travaillé… mais les élèves ont encore trop "la boule au ventre"
Mais le système éducatif français est-il prêt à donner une si large place à l’oral d’ici 2021 ? "Avec des exposés, des débats, des lectures de texte… Dans de nombreuses matières, comme le français, l’histoire ou les langues, les élèves s’entraînent déjà à l’oral", analyse pour Europe 1 Éric Charbonnier, spécialiste éducation à l’OCDE. "Mais on est encore dans un système anxiogène, où, selon les classements internationaux, les élèves français sont ceux qui ont le plus peur de donner une mauvaise réponse. Ça n’incite pas à participer en classe, à parler en public. Il faut encore travailler cela tout au long de la scolarité, inciter les élèves à lever la main en classe, pour qu’arrivés au lycée, les élèves n’aient plus cette boule au ventre au moment de s’exprimer", poursuit le spécialiste, qui milite "pour une éducation positive, sans sanction lors d’une prise de parole d’un élève pendant la classe".
" Il ne s’agit pas d’un concours d’éloquence "
"Nous ne sommes pas suffisamment préparés", abonde Anaïs. Cette professeure de français du secondaire en Seine-et-Marne a remporté un prix d’éloquence organisé à la Sorbonne il y a quatre ans, juste avant de devenir enseignante. Elle se dit aujourd’hui "surprise de voir qu’autant d’élèves ont encore peur de parler en public". "En France, on est encore beaucoup dans une démarche de ‘synthèse’. On demande aux élèves d’aller droit au but. Même en littérature, on leur demande d’être méthodique, presque scientifique. On ne réfléchit pas suffisamment à la forme, l’esthétique. Résultat : les élèves ne prennent pas suffisamment conscience que l’éloquence peut leur permettre de débattre, de faire adhérer à une idée, de convaincre", poursuit-elle.
Les enseignants insuffisamment formés ?
Certes, le ministère de l’Education nationale recommande déjà aux enseignants de multiplier les formes d’apprentissage de l’oral. "On organise des débats, sur le permis à 16 ans, la peine de mort (en partant de l’œuvre de Victor Hugo par exemple). Lors d’une lecture de pièce de théâtre, j’essaie de la faire jouer aux élèves, voire de leur faire réécrire le texte pour qu’il se l’approprie. Et le plus important, c’est de ne jamais dire que ce qu’ils font est nul, de travailler leur confiance. Ces exercices ne sont jamais notés, donc jamais sanctionnés", témoigne Anaïs. Reste que cette passionnée de rhétorique a acquis ces petites astuces et le goût de la rhétorique par elle-même, dans le cadre des classes plus restreintes de la fac de littérature. Et tous les enseignants ne sont pas forcément formés à cela. "La formation des enseignants prépare mieux à la connaissance de la discipline qu’à la pédagogie et à la rhétorique", regrette Eric Charbonnier.
Au-delà de la formation, les enseignants craignent de ne pas avoir suffisamment de temps pour entraîner les élèves. Car s’exercer à l’oral requiert des heures de cours à part entière. Et les syndicats craignent que les deux heures hebdomadaires de "méthodologie" (qui ne doivent pas servir qu’à ça) proposées par Pierre Mathiot ne suffisent pas. "Les compétences orales sont importantes pour la réussite dans l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle. Mais il faudra que les enseignants aient vraiment du temps pour le préparer en amont", estime Claire Krepper, du syndicat SE-Unsa (minoritaire). Une exigence aussi soulignée par Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Sgen-CFDT: "si on n'a pas le temps de le travailler en classe, on peut créer des inégalités" entre les élèves naturellement bon à l’oral et les autres.
La réforme voulue par Pierre Mathiot s’inspire, selon plusieurs observateurs, de l’organisation du baccalauréat en Italie, où l’oral vaut pour 30% de la note finale. Chez nos voisins transalpins, l’expression orale est travaillée tout au long de la scolarité, et l’exercice du bac particulièrement préparé au lycée. Aussi, et surtout, "il ne s’agit pas d’un concours d’éloquence", insiste Eric Charbonnier, de l’OCDE. "Les élèves doivent rédiger une sorte de rapport, de mémoire, en fonction du thème de l’épreuve. Et la capacité à synthétiser, à faire rejaillir les notions importantes, est davantage notée que la rhétorique. Je pense que l’on se dirige vers ça en France et qu’il faut arrêter d’utiliser l’expression ‘grand oral’, quelque peu anxiogène", conclut-il.
Le saviez-vous ? A l’origine, le bac se passait à l’oral
Les épreuves de baccalauréat n’ont pas toujours laissé autant de place à l’écrit. En 1809, date de sa première édition, les épreuves du bac consistaient en des entretiens autour d’une discipline, avec des professeurs d’université. La première épreuve écrite (facultative) n’est apparue qu’en 1830, avant de devenir obligatoire et de se généraliser dix ans plus tard. "On prend alors conscience qu'un exposé solide vient avant tout de la maîtrise de l'écrit. Et que l'oral vient confirmer l'écrit", explique Albert-Jean Mougin, vice-président du Snalc (Syndicat national des lycées et des collèges), cité par Le Figaro. La tendance semble être en train de s’inverser.