Aucun "manquement" ni "négligence" en "lien direct" avec la catastrophe : le parquet n'a pas requis mercredi la condamnation d'Airbus et d'Air France au procès du crash du Rio-Paris, dans lequel 228 personnes ont trouvé la mort le 1er juin 2009, une position qui a suscité la colère des parties civiles. La culpabilité des entreprises "nous paraît impossible à démontrer. Nous savons que cette position sera très probablement inaudible pour les parties civiles, mais nous ne sommes pas en mesure de requérir la condamnation d'Air France et d'Airbus", a conclu le procureur.
A ces mots, des applaudissements de colère se sont fait entendre dans la salle d'audience pleine à craquer du tribunal correctionnel de Paris. "J'ai honte d'être française !", "à quoi sert la justice ?", ont lancé certaines parties civiles avant de quitter la salle. La conclusion du procureur est tombée en conclusion d'un réquisitoire de près de cinq heures et demi, entamé par un préambule qualifiant l'accident du vol AF447, le plus grave de l'histoire d'Air France, de "drame incomparable".
"Cet accident tragique est avant tout un drame humain qui a bouleversé à jamais les proches des victimes", dont la "souffrance a sans cesse été réactivée au cours de ces treize années", un "délai beaucoup trop long", a souligné la procureure Marie Duffourc.
"Aucune faute pénale"
"Représenter la société dans un tel procès signifie préserver l'ordre social (et) rappeler que le respect de la vie des personnes humaines n'admet aucun compromis. Néanmoins, ce n'est soutenir les poursuites que si les infractions sont caractérisées", a-t-elle prévenu. Le 1er juin 2009, le vol AF447 reliant Rio de Janeiro à Paris traverse la zone météo orageuse du "Pot au Noir" quand les sondes anémométriques Pitot, qui mesurent à l'extérieur de l'avion la vitesse de l'appareil, sont bouchées par des cristaux de glace.
Déstabilisés, les deux copilotes, bientôt rejoints par le commandant de bord qui était en repos, n'arrivent pas à reprendre le contrôle de l'avion, qui heurte l'océan 4 minutes et 23 secondes après le givrage des sondes. Le parquet a d'abord abordé un "point central des débats" lors du procès ouvert le 10 octobre : le non-remplacement des sondes Pitot de l'A330 d'Air France, de modèle Thalès AA, par un autre modèle semblant moins givrer.
"Force est de constater qu'au regard des données de la science de l'époque, aucune faute pénale ne me semble pouvoir être retenue", a estimé Pierre Arnaudin. Mme Duffourc a ensuite affirmé qu'aucun "défaut de conception de l'avion" ne pouvait être retenu contre Airbus. Le parquet a surtout estimé que les éléments à charge rassemblés par la cour d'appel de Paris, qui a ordonné le procès en 2021, n'étaient pas fondés : il a conclu que les prévenus n'avaient pas sous-estimé la gravité des défaillances de sondes Pitot, qui s'étaient multipliées dans les mois précédant l'accident.
"Désir de sanction"
Dans les rapport d'incidents, "il n'y avait jamais eu d'échappée et de perte totale de contrôle de l'avion", a fait valoir M. Arnaudin. Le ministère public a longuement détaillé pourquoi, selon lui, ni Airbus, ni Air France n'ont pas non plus commis de "négligence fautive" en ce qui concerne la formation et l'information des pilotes à cette panne. Après avoir lu une série de témoignages, le procureur a déclaré que "Airbus et Air France pouvaient être fondés à croire à l'époque des faits que ces formations et procédures auraient du suffire à gérer la situation de l'AF447".
"Nous avons entendu l'insoutenable douleur de la perte de vos proches, votre désir de sanction, que des coupables soient désignés", a-t-il poursuivi en s'adressant aux parties civiles. "Notre devoir en tant que ministère public, c'est de nous référer (...) à la loi, sans qu'elle puisse être infléchie par les attentes de l'une ou l'autre des parties, fussent-elles ressenties comme légitimes".
Il s'agit du énième rebondissement dans une longue procédure. Après une décennie d'instruction, le parquet avait requis le renvoi d'Air France, mais pas d'Airbus. Les juges avaient alors prononcé un non-lieu en 2019. En appel devant la chambre de l'instruction, le parquet général avait requis le renvoi des deux entreprises, une position suivie par la cour d'appel qui avait ordonné un procès.